mardi 23 juin 2009

Ayahuasca mon amour

Ce matin, Ahmed a fait un rêve et comme on ne lui organise pas un meeting à chaque fois qu'il fait un rêve, il le racontera ici.

Tout commence alors qu'Ahmed est à son bureau, entouré de piles de dossiers en attente. Comme il se doit Ahmed ne tourne jamais le dos à une porte, ni à une fenêtre. Il est assis dans son fauteuil monumental et attend la personne qu'il doit recevoir les coudes sur les accoudoirs et les mains jointes sous son menton volontaire ; un cigare se consume doucement dans le cendrier près de lui et les volutes de fumée l'entourent lascivement. Tout est fait dans cette pièce pour que le visiteur se sente impressionné, intimidé, en position de faiblesse ; Ahmed n'aurait pas vraiment besoin de ce genre de stratagème pour en imposer face à ceux qui arrivent jusqu'ici mais parfois il faut savoir ne pas lésiner sur les moyens et il est toujours bon d'insister, surtout quand on ne peut pas présager de la qualité de son interlocuteur.

Ahmed n'aime pas attendre et il commence à s'énerver ; puis d'un coup, il quitte son corps. Il ne s'est pas endormi, ni évanouit puisqu'il se voit depuis son lustre assis dans la même position, cligner des yeux et même reprendre son cigare pour y prendre quelques bouffées. Le corps d'Ahmed est en automatique et son esprit s'est détaché ; il est donc libre de tout. Expérience faite, cet état éthéré lui permet de passer à travers les murs mais pas de voir "dans" le mur (si on admettait que le pouvoir de passe muraille existait, il serait alors fort probable que les gens dotés de ce don soient les plus grands claustrophobes que le monde ait connu : en effet, il leur suffirait de penser ne serait ce qu'un instant, alors qu'ils sont à l'intérieur d'un mur ou du sol, qu'ils puissent perdre le contrôle de leur pouvoir et se retrouver coincer "dans" la matière...).

Une fois dehors, Ahmed décida de tester les limites de son état. D'abord la vitesse, on a beau être éthéré on ne se déplace pas instantanément. Ahmed pense accélération et le monde commence à se déplacer sous lui (la remarque sur les passes murailles vaut aussi pour l'homme volant, à la différence près que si celui ci est un minimum casse-cou il volera sans se pauser de question et si l'éventualité d'une chute est possible, cette mort est potentiellement moins horrible, et surtout beaucoup mieux conceptualisable que celle de l'emmuration), il continue à accélérer et commence à sentir le temps ralentir. Enfin, il le voit : il n'y a pas que lui qui accélère, les gens ne bougent presque plus, les gouttes d'eau suspendent leurs chutes (oui l'inconscient d'Ahmed est très à cheval sur les principes de la physique). Il retourne vers son point de départ et s'arrête, ce qui a duré pour lui près d'une heure n'a pour les autres duré que quelques instants.

Il s'élève un peu au dessus de la ville et étend sa conscience pour observer la fourmilière et il prend peu à peu conscience de toutes les individualités, de leurs actions, de leurs sentiments et de leurs pensées. La plupart sont ternes et accomplissent des tâches abrutissantes par nécessité plus que par goût. Parmi celles ci, Ahmed estime que 80% le mérite ou ne mérite pas mieux par manque de moyens, de capacités ou d'ambition ; ils ne pensent qu'à leur dîner de ce soir, à leur liste de course ou au quelconque évènement du hobby banal qu'ils ont adoptés par défaut et manque de curiosité, les 20% restant ont soit brûlé toutes leurs cartouches, soit attrapé ce qu'on appelle la schkoumoune à un moment dans leur vie.
Les autres brillent plus mais Ahmed peut quand même les séparer en deux classes : ceux qui se battent et ceux qui profitent. Ces derniers ne sont pas forcément des épicuriens - même si la grande majorité d'entre eux, en ce début d'après midi, glande sévèrement, mange, fume ou fait l'amour - ce sont ceux qui, doté par la nature de dons qu'ils ne méritent pas forcément, n'ont pas besoin de forcer leur talent, ils sont bons dans ce qu'ils font, sont capables de s'adapter à tout sans effort et peuvent assez bien être représentés par un célèbre agent secret britannique dont le brushing bouge moins qu'un sénateur UMP. Les gens n'aiment pas vraiment cette engeance de manière générale. Les premiers sont ceux qui en veulent et, quand on ne se balade pas avec les mouettes dans une forme éthérée, on les remarque facilement aux traces de dents qu'ils laissent dans le plancher.

Bref, Ahmed aime voir les bosseurs bosser, les looseurs looser et les branleurs branler, mais il se sent seul hors de son corps et tente d'appeler d'autres gens comme lui. A sa grande surprise, certains parmi les brillants sentent son appel et le rejoigne. S'en suit une scène qu'il faut plus de cinq sens pour partager et plus d'un art pour décrire, mais pour vous donner une idée : les décharges de plaisir, de volupté et de bonheur qui s'échapèrent, touchèrent même les plus délavés d'entre les ternes.

A la fin, petit à petit, Ahmed sentit la tangibilité l'envahir et alors qu'il revenait de lui même vers son corps il put admirer le lent évanouissement de ce monde de plaisir et de volupté baigné d'une lumière diffuse et paisible semblable à celle d'un couché de soleil sur une mer calme.

Il rentra dans son corps à temps pour savourer la prochaine bouffée de son cigare que son corps portait à ses lèvres. Il aspira la fumée longtemps, la recracha plus lentement encore pendant que son rendez-vous entrait dans la pièce et il prit une décision : ne plus jamais partager le calumet avec un shaman amazonien le matin.

2 commentaires:

Linda Phung a dit…

Tu t'es pris pour l'ange des ailes du désir.

A. Kelly a dit…

Héhé, je n'y avait pas pensé comme ça mais ça a peut être joué, ouais.

En fait je pensais à Reno quand il sortait de son corps ...