jeudi 24 décembre 2009

En Décembre 1999

Mon ami Kuhn a lancé l'idée de raconter son nouvel an de l'an 2000 et plus généralement ce que l'on était en Décembre 1999, comme personnellement je n'ai rien d'intéressant à dire sur le sujet on va plutôt parler d'Ahmed Kelly





En Décembre 1999, Ahmed Kelly avait dix ans de moins, comme beaucoup de monde et quelque soit le calendrier, mais je n'en dirais pas plus car il n'est sûr pour personne de connaître le véritable âge d'Ahmed Kelly. Vous allez vous dire que ce n'est pas là un cadeau fait à ses biographes, puis vous réfléchirez un peu et vous vous direz avec raison qu'il doit y avoir plus sûr comme boulot que biographe d'Ahmed Kelly. Pour vous dire toute la vérité, l'âge d'Ahmed n'a pas toujours été un secret, il existe même des gens, en dehors de ses proches parents, qui doivent encore se rappeler de sa date de naissance mais il advint dans la vie d'Ahmed un évènement tragique qui recouvra cette date du sceau du secret. Cet évènement eut lieu il y a quelques années de cela... laissez moi réfléchir un peu... c'était il y a... tout juste dix ans ! Quelle coïncidence ! Si vous ne me connaissiez pas vous pourriez croire que je l'ai fait exprès mais vous n'êtes pas comme ça et comme pour ma part je suis grand prince je ne vais pas vous laisser sur votre faim et le fin mot de cette histoire ne restera pas tue.

Il y a dix ans donc, Ahmed ne s'était pas encore installé à Paris ; il avait bien entendu déjà eu l'occasion de traverser la frontière qui sépare la cité littéraire de la barbarie et que les autochtones appellent boulevard périphérique, mais il habitait toujours sur la terre de ses ancêtres. Il y a dix ans Ahmed ne possédait encore que peu de chose, pas l'ombre d'un jet privé aux abords de la maison paternelle, à peine une barque dans le port et quelques dromadaires pour faire tourner les affaires de la famille. Mais Ahmed possédait déjà ce qui allait lui ouvrir les portes de la fortune, des plus grandes capitales et de faramineux capitaux : sa tête et sa machette.

Vous allez vous demander ce qu'un fils à papa peut bien faire avec une machette et une barque et cela prouvera bien que vous avez l'esprit d'entreprise foutrement limité par votre sens moral car sachez, lecteurs incrédules, que si pour le poète rien n'est impossible à coeur vaillant, dans la réalité un coeur vaillant ne vaux pas tripette face à une lame acérée portée par une main sans foi ni loi. En l'occurrence, une fois sa décision prise de prendre le monte charge social, Ahmed Kelly ne s'est pas embarrassé de remord ou de vaillance. Il commença son périple au port local ; un garde attrapé par les cheveux et une trachée tranchée plus tard, il se retrouva maître d'un chalutier. Ahmed Kelly aime la bonne chère mais pas de là à aller la préparer lui même et encore moins à en aller chercher la matière première au fond de l'océan. Au commande de son nouveau vaisseau, il fit donc le tour de la rade pour trouver bâtiment plus adapté à ses ambitions et le destin, qui garde toujours un oeil attentionné sur notre cher Ahmed, l'amena en vue d'un yacht à l'allure beaucoup plus convenable. Ahmed n'a jamais vraiment suivi de cours de piraterie mais il n'est pas plus compliqué d'attaquer un yacht que de castrer un dromadaire : il suffit de lui présenter quelque chose de suffisamment intéressant à la proue pour qu'il ne fasse plus attention à sa poupe. La mise en pratique fut immédiate, Ahmed amarra le chalutier, auquel il avait préalablement mis le feu, sur la trajectoire du yacht lequel stoppa sa course, les passagers duquel se précipitèrent au museau pour tenter d'éteindre le feu (et surtout de voir un ou deux marins mourir dans d'atroces souffrances) et le cul duquel étant laissé sans surveillance. Ahmed Kelly, que l'on a appelé le marsouin dans son enfance, ne mis que quelques minutes pour rejoindre le pont arrière du navire à la nage la machette entre les dents. Il se dirigea ensuite directement vers le poste de pilotage où d'un swing parfaitement maîtrisé il fit voler la tête du matelot de quart et trouva, comme dans tout bon navire, la seule arma à feu du bord. Il ne lui suffit plus ensuite que de monter sur le pont avant, d'abattre sans sommation un membre de l'équipage, de prendre en joue le reste et d'intimer l'ordre à tous les passagers sauf au capitaine et au propriétaire de sauter par dessus bord en tirant une balle dans la jambe de ce dernier pour devenir maître d'un deuxième navire dans la journée.

Le sort, qui est un peu jaloux de l'attention que porte le destin à Ahmed et qui a secrètement un peu peur de perdre son affection, fit que le yacht qu'Ahmed aborda ce jour là était celui d'un trafiquant de drogue fort imprudent ; Ahmed tira donc de cette aventure, outre une coquette somme de départ pour ses futures activités sous forme de briques de résine, un certain nombre d'enseignement : d'abord ne jamais s'arrêter pour sauver un pauvre qui brule, ensuite ne jamais transporter lui même sa marchandise surtout dans un véhicule qu'un pauvre ne peut pas s'acheter et enfin ne plus jamais être pauvre.

En décembre 1999 Ahmed Kelly entrait donc en vainqueur dans le pays qui l'avait toujours tant fasciné par la grande arche de la défense (il a beau ne pas être bien aligné, il reste le dernier arche qui soit effectivement à une entrée de Paris). Dans les quelques mois qui avaient suivi sa maritime entrée dans les affaires, Ahmed avait réussi en revendant le yacht et la marchandise et en torturant suffisamment son imprudent propriétaire à se faire un nom et à reprendre l'organisation du malheureux à son compte. Il avait bien sûr fallu pour cela investir dans des moyens de transports plus sécurisés et des ustensiles d'extorction plus perfectionnés mais à cette époque les marchands d'armes français n'étaient pas trop regardant sur les acheteurs tant qu'ils venaient d'afrique ; quelques têtes appartenant à des collaborateurs récalcitrants du précédent parrain durent aussi sauter mais les mêmes commerçants vous diront que l'on ne fait pas de trafic sans sacrifier quelques cranes ; mais dans l'ensemble rien de bien insurmontable pour notre vaillant Ahmed au coeur si bien accroché.

Une fois dans la capitale, Ahmed ne fut pas long à en découvrir les rouages et s'il eut quelques problèmes à combler le faussé culturelle entre les coutumes de son désert natal et l'improbable croyance populaire de l'époque qui voulait que la France fut la plus grande nation footballistique de la planète, il rencontra, et comprit vite l'avantage de connaître, Coraline, Madeleine, Lucy et leurs amies, surtout parmi une population qui se berce tant d'illusions. A la fin du mois il connaissait assez de monde pour passer en l'an 2000 d'une façon qui allait devenir une tradition pour Ahmed et ses amis et un rêve inaccessible pour ceux qui l'entrevoient ou qui n'en ressentent que les vibrations.

Ainsi commençait le nouveau millénaire, le millénaire d'Ahmed Kelly, celui de l'axe du mal, de la déliquescence et de la décadence, d'internet et de l'électronique, de la barbarie démocratique et de l'aveuglement prophétique, de l'écologie et du capitalisme. Ahmed Kelly le savait, Ahmed Kelly a choisi son camp, le sien, mais si Ahmed Kelly avait fait d'autres choix alors peut être le monde aurait il emprunté une autre direction car après tout quand on est capable d'arraisonner seul deux navires en une journée on doit bien être capable de se battre contre les courants et de diriger sa barque vers des eaux plus clémentes.

Car après tout, c'est écrit : c'est dans les déserts que l'on trouve les meilleurs marins.

Mais vous allez me dire que je n'ai pas expliqué le mystère qui entoure la date de naissance d'Ahmed Kelly et vous aurez l'impression de vous être un peu fait mener en bateau avec cette histoire. Ceci dit vous remarquerez, car vous êtes perspicaces, que je n'ai pas non plus expliqué pourquoi Ahmed ressentait un tel besoin de quitter sa tribu, ni comment il ne pouvait posséder à cette époque qu'une barque et une machette. Puis vous vous souviendrez qu'Ahmed Kelly n'offre jamais de cadeaux aux anniversaires (et encore moins pour la sacrée fête de naissance d'une boisson pétillante qui se marie fort bien avec les boissons alcoolisées à base d'orge malté) et déteste en recevoir et alors vous conclurez de vous mêmes que ce départ, ce mystère et cette attitude de chacal sont liés mais vous ne poserez pas plus de question car vous préférez préserver la vie privée de votre prophétique ami.

mercredi 16 décembre 2009

Dessine moi un mouton

Parfois, des gens font des commandes à Ahmed Kelly, directe ou indirecte : "C'est un peu chiant quand tu parles de politique", "ça fait longtemps que tu as pas fait un post marrant", "tu fais des phrases trop longues", "tu pars en couille" ...

Personnellement, je n'ai rien contre ce genre de demandes ou de commentaires, c'est cool d'avoir un retour sur son travail ; ce qui me gène plus en revanche c'est que personne n'arrive à me faire de doléances en adéquation avec mes envies personnelles. Du coup, j'en suis à me demander si mes lecteurs n'ont pas quelques lacunes en empathie télépathique. Ceci dit Ahmed Kelly sait bien que ce n'est pas vraiment vendeur de critiquer le lecteur dans ce métier donc il s'abstient et va répondre à une question : celle du petit David B. qui me demandait il y a peu : "Dis Tonton Ahmed, mon papa il veut pas me croire quand je lui dis que tu es un artiste, il dit que t'es rien qu'un fainéant et un sale escroc, pourquoi ? Pourquoi t'es pas un artiste ?"

Mes lecteurs adultes, réguliers et très demandeurs comprendront que je ne peux pas laisser ce pauvre garçon dans une telle incompréhension et me pardonneront donc de lui donner la priorité et de remettre à plus tard l'exaucement de leur si chers souhaits.

Et bien pour commencer mon petit David tu pourras dire à ton père que c'est un gros con et qu'il n'a rien compris à l'art, ensuite tu iras mettre de la glace sur ta joue pour qu'elle ne gonfle pas trop et tu pourras lui ressortir les arguments de tonton Ahmed.

Pour commencer, cassons une idée trop largement répandue chez le commun des mortels et, malheureusement, chez beaucoup de prétendants artistes : faire de l'art c'est pas de la tarte. Les gens comme ton père pensent qu'ils ont un vrai métier et qu'ils gagnent leur pain à la sueur de leur front alors que les artistes se la coulent douce en fumant des joints et en draguant occasionnellement de vieilles veuves qui ne savent plus quoi faire de leur blé ou de riches industriels qui espèrent s'acheter une respectabilité en faisant un peu de mécénat, mais tout cela est faux. Mais bon, Tonton Ahmed ne va pas te cacher la vérité : la pomme est pleinne de vers et, tu le découvriras sûrement à tes dépends, la plupart des gens ont abandonné le concept de morale dans le bac à sable où tu passes tes mercredis après midis ; et donc oui, il existe des gens qui font peu ou prou ce que décrit ton père mais on appelle généralement ces gens là des arnaqueurs. On pourrait débattre de savoir si l'arnaque est un art à part entière mais sur ce coup là Tonton Ahmed s'y connaît légèrement et il peut te dire que les autorités ne voyant pas d'un très bon oeil ce genre d'activités, il y a peu de chances que l'on fasse un jour des expositions sur l'arnaque au Grand Palais. Bon et puis commence pas à poser trop de questions non plus, tu devrais savoir qu'Ahmed Kelly n'aime pas les gens trop curieux ; ça me ferait mal de t'apprendre une autre vérité brutale de la société concernant les gens qui portent des armes mais ni uniformes, ni plaques officielles. Bref, il existe des artistes véreux, des papas étroits d'esprit et des enfants myopathes, la vie est une pute gamin, il faudra t'y faire. Mais stoppons là nos digressions pour revenir à nos métaphores alimentaires sur le difficile travail de l'artiste.

L'artiste par excellence, l'image d'Épinal de l'artiste si Ahmed ose dire, c'est le peintre dans son ateliers poussiéreux entourés de toiles plus ou moins achevées. On pourra déjà remarquer qu'il faut quand même se donner pour arriver à faire des tâches de peinture sur à peu près tout ce que contient un atelier avec une préférence marquée pour les endroits dont un pinceau ne devrait pas s'approcher à moins de trois mètres. Ce peintre donc, qui se donne tout autant pour souiller consciencieusement les parties les plus inutiles à la peinture de sa tenue vestimentaire, est, pour quelqu'un comme ton père, un sombre branleur qui, quand il n'est pas aux putes ou ivre mort dans un caniveau, donne vaguement quelques touches de pinceau sur une croute pour donner le change à ses créanciers. Pour les gens plus ouverts d'esprit, ce peintre a néanmoins un petit quelque chose de romantique qui le rend sympathique et puis finalement il est fauché comme les blés donc on ne peut pas vraiment lui en vouloir. Malheureusement, la modernité a aussi infesté la peinture et depuis qu'un espagnol chauve s'est amusé à peindre des musiciens avec la gueule carrée, des pelletés de gus pleins de tâches s'en foutent plein les poches en vendant des amas de peintures vaguement géométriques ne représentant généralement rien au premier abord avec la complicité de snobinards imbus de leur propre importance et des grands concepts qu'ils créent à la louche pour embobiner les rombières et les patrons suscités. Et depuis, même les gens qui regardaient avec un regard amusé ou apitoyé notre peintre vosgien de montmartre trouvent qu'il faudrait voir à pas les prendre pour des cons parce que leur progéniture décérébrée pourrait faire aussi bien sur leur ardoise magique. Et tu remarqueras que de ce coté là la modernité a fait beaucoup de mal à tout un tas d'autres arts, il suffit d'écouter pour s'en convaincre ces mêmes gens qualifier de bruit n'importe quel morceau de musique électronique ou de tas informe une sculpture moderne...

Mais, encore une fois, tout cela est faux, mon petit David, tous les grands peintres, mêmes les plus abstraits, ont commencé par tenter de reproduire l'objet le plus con que leurs maîtres pouvaient trouver, tous se sont briser les doigts à croquer en quelques minutes des gens nus, tous les musiciens se sont migrainés le crâne à apprendre le solfège ou les bases de la rythmique et tous les comédiens ont ravalé leur fierté pour mimer des poils de cul au fond d'un lavabo. Un artiste, quel qu'il soit, doit travailler comme un bâtard, pour le dire simplement, avant de maîtriser suffisamment son art, l'histoire de son art, son âme, son inspiration et plus que tout son geste afin de créer son oeuvre, d'y poser des fragments de son être et d'obtenir l'harmonie qui le satisfera, l'apaisera et touchera son public. L'artiste est en constant apprentissage, il se bat en permanence contre lui même, il poursuit toute sa vie l'inspiration et les évolutions de son art et il ne communique des sentiments au monde, et ainsi ne gagne sa vie, qu'au prix de ce travail perpétuel et monumental. Il n'est pas d'oeuvres reconnues qui n'aient été créées de cette façon car il n'y a pas de création sans labeur.

Admettons que ton père comprenne ce qu'Ahmed Kelly vient d'essayer de lui faire rentrer dans le crâne, Ahmed veut bien parier sa barbe qu'il continuera à te dire que ton idole n'est qu'un foutu parasite qui se lève tous les jours en début d'après midi pour aller faire le guignol sur une scène et se faire mousser sur des plateaux télés ou à des remises de prix bidons car ton père, comme beaucoup de gens, ne considère pas les acteurs comme des artistes. A sa décharge, il faudrait un nombre certain de mains pour compter le nombre d'acteurs foutrement mauvais, qui squattent le box-office et gâchent le travail de réalisateurs géniaux produits par de sombres andouilles, et le nombre de vagues célébrités, qui s'improvisent acteurs car ils ont trop rapidement atteint les limites de ce qui les a rendu célèbre, sur des doigts. Il n'empêche que les acteurs sont des artistes tout autant que les peintres ou les musiciens ; ce sont des artistes qui travaillent sur leur propre corps et sur leurs propres émotions pour donner vie à des personnages imaginaires ; ce sont des artistes qui à travers cette création se déchargent, comme les autres, des tourments de leurs âmes et des bouffés d'état créatif qui les rendraient fous si elles étaient trop longtemps contenues. Comme le peintre, le danseur, le sculpteur ou le musicien il recherche en permanence le geste parfait qui sublimera tous les essais, toutes les ébauches ou toutes les répétitions pour donner l'Oeuvre, la Création, qui touchera le public et qui comblera le commanditaire (que celui ci soit un réalisateur, un chef d'orchestre, un auteur, un compositeur, un mécène ou un quelconque producteur ; dans une société où l'argent est maître, l'artiste ne crée que trop rarement pour son seul plaisir). Car finalement l'art, sous toutes ses formes, n'est qu'un long combat entre l'artiste et son corps pour amener ce dernier à faire ce geste parfait qui exprimera enfin la pensée et la sensibilité de son propriétaire. Et, pour obtenir plus facilement ce geste parfait, l'artiste doit s'entraîner, travailler, répéter, bref, comme Ahmed te l'a expliqué plus haut : l'artiste doit se les sortir un peu du fondement et suer autant si ce n'est plus que ton malheureux paternel.

Normalement une fois arrivé là tu peux donc lui lancer à la face toute ton admiration pour cet homme, Ahmed Kelly, qui est fier d'être un acteur et un artiste et qui travaille comme un acharné pour améliorer son art et mériter ton admiration. Et si ton père continue à faire la forte tête, c'est avec plaisir qu'Ahmed Kelly lui montrera ses autres talents dans le domaine de la persuasion et de l'extorsion de fond avec ses deux plus fameux partenaires : Machette et Desert Eagle.