vendredi 21 août 2009

Mélomanie technologique





Aujourd'hui Ahmed avait décidé de se reposer et de ne pas écrire, histoire de ne pas assécher sa source d'inspiration, ce qui est un rien paradoxale car tout écrivain qui se respecte vous dira qu'il vaut mieux que l'inspiration soit sèche, ça brûle moins la gorge.

Mais bon que voulez vous, Ahmed ne peut pas s'en empêcher et puis franchement l'alternative est si peu brillante qu'il préfère prendre le risque de subir l'angoisse de la page blanche, il doublera les rations d'inspirations...

De toute façon, depuis que les habitants de la ville lumière l'ont fuit pour laisser la place aux éphémères, et si facilement bernables, clients de la période estivale, Ahmed trouve la vie plutôt calme. Les acharnés de la trompe étant en train d'exercer leur dévorante passion sur les routes de Provence, les rues du 8e parigot sont d'un calme olympien, comme quoi il n'y a pas que des désavantages à bosser dans un quartier de nantis. Ahmed a tout de même un petit pincement au coeur quand il pense à ses amis bergers dont les bêtes se font des ulcères à chaque fois qu'un de ces énervés croient voir un camion de livraison mais il se dit pour se rassurer qu'il y a bien longtemps que les bergers ne se font plus de gras avec les panses de leurs brebis et que, puisqu'il parait que les plantes poussent mieux en musique, ils se rattraperont bien au moment de la moisson (en espérant que Marie-Jeanne n'ait pas trop l'oreille musicale). Et après on émet des doutes quand Ahmed dit qu'il fait dans le social, pourtant depuis qu'Ahmed fait garder les troupeaux de Marie-Jeanne par les bergers provençaux, non seulement ils ont beaucoup moins à se fatiguer mais en plus ils peuvent garder leurs compagnes à quatre pattes bien plus longtemps, en n'ayant juste à les peloter un peu de temps en temps pour les soulager et en ayant même plus à vivre dans la puanteur d'une fromagerie artisanale. Parfois, Ahmed se dit même qu'il aurait pu être berger : le grand air, la liberté, le clébard vif et intelligent, une parfaite existence d'épicurien quand on y réfléchit.

Seulement voilà, la vie dans les pâturages présente des inconvénients intolérables pour Ahmed Kelly. Pour commencer, la solitude. Ahmed n'est pas contre, loin de là, il vit d'ailleurs dans une relative solitude dans son palais d'ivoire (oui les tours c'est grave pas éco-friendly, Al G. et Yann A.-B. sont de bons clients, ne les fâchons pas) sauf qu'à tout moment, d'un claquement de doigt, il peut faire venir un garde qui s'empressera d'accéder à sa moindre demande (ou de la transmettre à quelqu'un qui sait lire, le cas échéant). Alors que perdu au milieu d'une colline pourrie avec douze chèvres rachitiques et un cabot abruti, quand votre briquet vous lâche, vous pourrez toujours courir pour vous en griller une petite. Et c'est là qu'on regrette de pas avoir pris danse de l'orage au camp scout...
Deuxième problème de taille, la technologie. Imaginons que vous ayez de la chance et que vos biques acceptent de paître pas trop loin d'une antenne relais, alors vous aurez peut être la possibilité d'afficher google en moins de 5 minutes sur votre téléphone 3G+ mais après avoir annihilé tout ce qu'il vous restait de patience pour regarder les infos, il y a de forte chance pour que cette petite merveille de technologie crie famine et vous fasse la gueule jusqu'à ce que vous lui ayez donné son électrique pitance. Et là rebelote : vous pouvez toujours vous brosser pour trouver du 220 en rase campagne. Vous me direz qu'avec ses moyens Ahmed pourraient palier à ce problème et installer un groupe électrogène ou une éolienne à proximité du pâturage. Sauf que de cette façon vous pourrissez complètement le concept de retour à la nature et de retraite verte et puis si vous croyez que ses putes de chèvres accepteront de rester tout un été à portée de câble d'alimentation d'une source électrique vous fourrez le doigt dans l'oeil jusqu'aux bronches : une chèvre ça a besoin de se dépenser et surtout ça bouffe ; en troupeau ça te désertifie un terrain de foot en une nuit. Du coup, à part le solaire, oualou ! et Ahmed n'a pas envie de se promener avec un chapeau ridicule recouvert de cellules photovoltaïques.

Et là vous vous dites que c'est quand même bien malheureux de se fermer tant de portes à cause d'une bête dépendance à la technologie et Ahmed vous rétorque que la plupart des gens se ferment aussi beaucoup de portes à cause d'une bête dépendance à la santé. Mais ce n'est que de la mauvaise foi parce que dans le fond Ahmed sait bien que vous avez raison, il ne peut pas se passer d'un ordinateur ; et pas, comme vous vous l'imaginez déjà, bande de satyres, pour se rincer l'œil devant des comptes rendus visuelles de réunions saphiques. Non, Ahmed le confesse ce n'est pas la fesse qui l'attire mais le clavier ; dérèglement générationnel oblige, il écrit mieux, plus rapidement et plus efficacement sur un clavier qu'avec une plume et sa passion pour l'écriture est en grande partie liée à l'instrument.

La danse rapide des doigts sur les touches, le rythme et la musique qui en découlent, la précision mécanique et irréelle des mouvements, la transe qui l'accompagne, tout cela fait partie intégrante de l'écriture pour Ahmed et le lui enlever serait lui gâcher son plaisir. Il choisit même ses claviers en fonction de leur sonorité et tel un mélomane rue de Rome, il parcourt les boutiques de la rue Montgallet en quête du clavier le mieux accordé. Lorsque son travail lui donne l'occasion de se rapprocher de la Silicon Valley, il se précipite, une mallette sous le bras, chez ce petit artisan qui fabrique encore des claviers selon la tradition dans l'ancien garage des Jobs. Là, sous une lumière vacillante, le vieil homme retire sa création de son écrin de velours et, méticuleusement, inspecte chaque touche, la nettoie, la réajuste d'un imperceptible mouvement de ses instruments d'orfèvre, puis il pianote doucement presque précautionneusement des mots que lui seul voit, caresse son oeuvre et la remet entre les mains d'Ahmed avec dans le regard la mélancolie de celui qui abandonne son enfant pour le confier à celui qui l'entraînera vers des mondes dont il n'ose rêver.

Cette douce mélodie, Ahmed sait qu'il ne pourra pas la retrouver en pleine nature et il laisse donc aux bergers la joie des grands espaces et le chant des brebis au clair de lune. Et puis franchement, abandonner des demeures somptueuses aux quatre coins de la planète pour aller se ruiner les lombaires sur un lit en paille, faut le vouloir. Certains diront que c'est désespérément matérialiste mais ceux là n'ont jamais goûté au luxe de la vie d'Ahmed Kelly. L'argent ne fait peut être pas le bonheur mais le bonheur est bien plus sympathique dans des draps en soie et des piscines de champagne, foi d'Ahmed Kelly !!

6 commentaires:

Unknown a dit…

Tu sais, beaucoup de gens pressés/riches/PDG dans mon entourage ont une MAISON DE CAMPAGNE.

Oui, ça peut servir en période de grand stress. Tu y reste quelques jours, tu t'y reposes, tu prends du bon temps avec ta femme/maîtresse et après hop retour dans notre belle ville.

Reste tout de même en Ile de France, genre à Brie Comte Robert, Andrésy tout ça, tout ça. Parce que le fin fond de la Creuse, c'est sûr c'est pas glamour.

Je t'ai aidé ?

A. Kelly a dit…

Mmh oui bon évidemment une maison de campagne, c'est pas mal aussi, c'est un peu moins 'retour à la nature' que la bergerie mais c'est vrai que ça possède certains avantages. J'y avais presque pensé ;).

Par contre l'île de France c'est quoi ? Le bout de ville où il se passe rien entre le périph' et la province ? Ah ouais non, ça va pas être possible ça.
En même temps, Ahmed doit bien avoir une île privée dans les caraïbes pour les retraites en charmante compagnie, je vérifierai.

Unknown a dit…

Excuse moi, je n'avais pas pensé à l'international. C'est sûr qu'une île privé a plus de charmes qu'une maison à Brie Comte Robert....

Personnellement je n'aime pas la chaleur (et pourtant je suis plus proche d'une Algérienne que d'une Russe) alors ça sera pour mon futur proche, une maison dans le Nord (mais aussi à l'internationale) ou dans l'Est, ça dépend.

Unknown a dit…

+e, +e

J'étais bourrée hier ou quoi ?

A. Kelly a dit…

Dans le nord est à l'internationale ça fait la hollande si je ne m'abuse, très bon choix.
L'angleterre sinon, ils font un peu moins de fritures mais leur langue est plus jolie.

Et écrire bourré c'est cool pour l'inspiration mais il faut attendre la relecture du lendemain avant de poster, ça fait des délais c'est chiant finalement...

Unknown a dit…

Ah ah, oui, désolé...