vendredi 14 août 2009

Like a rolling boat





Il y a quelques jours, Ahmed Kelly a fait un voyage en bateau.

Ne vous interrogez pas sur ce qui me pousse à vous parler de ça, Ahmed Kelly a le pied marin. Son aïeul d'ailleurs, Ahmed Hassan Al-Zafir, était un marin réputé, corsaire à ses heures perdues et véritable gentilhomme de fortune à condition de ne pas être trop regardant sur les détails. Le fait qu'Ahmed Kelly prenne le bateau n'est donc pas en soi une révolution, ce sont les évènements dont le navire fut le théâtre qui valent le prix de l'encre.

Ahmed donc avait rendez vous avec quelques uns de ses amis proches sur un bâtiment un peu particulier. En amateur de belles coques et de traditions glorieuses, Ahmed s'attendait à être accueilli sur une majestueuse goélette ou une jonque exotique. Mais point de voiles, ni de gréement pour l'accueillir, le bateau est à moteur. La déception n'est tout de même pas totale car le navire n'est tout de même pas banal, il porte en effet en son sein, situé approximativement au milieu du pont supérieur, un phare. Pas le phare phallique qui affronte seul au bout d'une pointe rocheuse les caprices de la mer, symbole de la fierté masculine combattant isolée la fureur féminine (sic) et refuge de rêveurs ou de machistes éconduits, mais un phare tout de même. Le bateau était donc original et paraissait être tout à fait approprié à la soirée à laquelle il avait été convié.

Vous le connaissez, Ahmed n'est pas du genre à arriver les mains vides à une soirée ; c'est donc en toute amitié, et par soucis de ravir les autres convives de sa présence, qu'il prit Madeleine comme cavalière. Pour ne pas vous mentir, Ahmed, sans être un habitué, avait déjà visité les cabines de ce vaisseau et possédait quelques points de repère. Il s'attendait donc à ce que lui et la petite troupe qui l'accompagnait rentrassent sans problème ; ils rentrèrent mais l'atmosphère semblait moins légère qu'à l'accoutumer. Le gardien devant la passerelle fit ouvrir les sacs, observa méfiant. L'hôtesse vérifia deux fois les invitations et eut un regard appuyé vers les écriteaux qui expliquaient les quelques règles en vigueur dans la soirée : "Toute descente du bateau est définitive" (les naufragés sont prévenus) et "La police est susceptible de fouiller les passagers [...]". A ce moment Ahmed se raidit, Madeleine à son bras tenta, d'une légère caresse dans le cou et d'un délicat baiser sur la joue de calmer les humeurs sanguines de son partenaire. Tout en lui glissant des mots doux à l'oreille, elle posa lascivement sa main sur le poignet d'Ahmed qui disparaissait déjà sous sa veste. Passant derrière lui en lui caressant les reins, elle l'entraîna vers la soirée. Ahmed, séduit par ces promesses de volupté, réprima sa colère ; en posant fermement la main sur le comptoir, faisant claquer au passage une bague et un bracelet en argent massif, il attira cependant l'attention du physio et d'un regard appuyé à l'affichette il posa ses conditions : au moindre soupçon de présence policière, il quitterait immédiatement la soirée par tous les moyens possibles et laisserait aller son ire contre les propriétaires du bateau.

Quelques pas dans la salle qui accueillerait le gros des festivités plus tard, l'incident était oublié et c'est au bar que nous retrouvons la petite équipée. Madeleine déjà ondule et réchauffe l'atmosphère mais les compères s'attardent quand même pour prendre un verre, question d'apparence : même s'il est plus que courant d'arriver dans ce type de soirée avec un taux d'alcoolémie que la médecine moderne déconseille, il faut montrer à l'assistance, aux serveurs et à leurs employeurs que vous êtes encore tout à fait capable de boire un verre et a fortiori de le commander. Verre en main, déjà à moitié fini toujours pour les mêmes raisons, les amis se rapprochent de la scène, où se produit un couple de musicien visiblement peu préparé, visuellement un peu branché et virtuellement talentueux. Malgré la pauvreté du set, tant au niveau musical que scénique, Madeleine se prend au jeu, danse et fait danser.

Les deux musiciens ne font pas long feu et les convives profitent du changement d'artiste pour visiter un peu le reste du navire. Sur le pont, les autres invités discutent, boivent et fument. Ahmed et ses amis se mêlent à la foule, Madeleine la première aborde les inconnus et fait les présentation avant de poursuivre vers un autre groupe. Ahmed fait la connaissance d'un trio de jeunes filles bataves, d'un photographe amateur et attitré et de divers convives. Les trois étrangères apprécient l'occasion et le photographe ne la rate pas de prendre Ahmed comme modèle, d'abord à la sauvette, puis avec son assentiment et enfin sur commande lorsqu'Ahmed a vérifié son identité auprès d'un garde.

Madeleine a de nouveau envie de danser et Ahmed et ses amis la suivent. En bas, le musicien a changé, sa musique est plus travaillée mais moins accessible, il fait lever les bras et bouger les corps puis surprend les esprits avec une séquence arythmique proche de la cacophonie électronique. L'écoute n'en est pas aisée et les arrêts au bar sont fréquents et nécessaires. Madeleine, elle, s'échauffe de plus en plus, fait tourner les têtes, embrasse et caresse, elle communique son envie et transpire la joie, l'allégresse et l'amour.

Arrive enfin le clou de la soirée, celui pour qui Ahmed et ses compagnons se sont déplacés, un magicien de la musique électronique qui, armé d'une simple table de mixage et d'un ordinateur portable, transporte les auditeurs sur des territoires inexplorés et fantasmagoriques ; sans une pause, il élève l'âme et l'esprit, les faits voyager quelques temps et les ramène calmement sur terre une fois la ballade terminée. Sans heurts ni fracas, inexorablement, il hypnotise, sublime puis repart, humble. Madeleine bien entendu est aux anges, elle entre en transe et nous entraîne tous avec elle.

Le set, toujours trop court, se termine et la petite troupe retourne sur le pont se remettre de ses émotions et se désaltérer. Les discussions se font plus vives et plus passionnées, les nerfs sont encore excités de ce qu'ils viennent de vivre ; Madeleine grince des dents, elle souhaite retourner danser. Un petite aller-retour vers l'antre musicale permet à Ahmed de se rendre compte de la pauvreté artistique de celui qui finit, incapable de relever le défi d'un tel enchaînement. Ahmed remonte donc tenter de calmer Madeleine et discuter avec les convives qui refusent encore de s'avouer vaincus. Les discussions se font moins intéressante mais le dj qui les a tant fait rêver apparaît, toujours aussi humblement, accompagné de sa maîtresse et de quelques uns de ses amis, Ahmed tient à féliciter en personne le musicien et ils discutent ensemble quelques instants, partageant leur point de vue d'une soirée qu'ils partagèrent sans le savoir, savourant leurs goûts musicaux communs.

Madeleine repartit un peu frustrée de ne pas avoir pu danser plus longtemps et le fit bien comprendre à Ahmed et un de ses amis avec qui elle rentra mais dans l'ensemble elle fut satisfaite. Ahmed aussi, il y avait bien trop longtemps qu'il n'avait pas fait honneur à la mer en la parcourant en bateau et ce court voyage lui en redonna le désir, il prit, en rentrant, la résolution de récupérer, par les armes si il le fallait, le brick que la douane britannique avait arraisonné l'an passé à Gibraltar et de faire au plus tôt le tour des îles de la méditerranée, si propice à la débauche.

Quand le soleil fit poindre ses premiers rayons le matin, Ahmed se glissait doucement sous les draps. Six heures plus tard, Madeleine sonnait frénétiquement à la porte et vint rappeler à Ahmed qu'elle n'est pas de ses amies dont on ne s'occupe pas le lendemain ...

Ahmed est content d'avoir repris contact avec sa vieille amie, malgré ses agaçants petits défauts, mais surtout il s'est rendu compte qu'au plus vite, il doit reprendre le large avant que le corail ne l'ancre définitivement à quai. Pierre qui roule n'amasse pas mousse, dit le proverbe mais cette pierre n'a visiblement jamais entendu parler des travelers check et Ahmed sait bien que la mousse ne s'amasse que sur ce qui est abandonné ou immobilisé. Or vous le savez, jamais il ne sera possible d'arrêter Ahmed Kelly.

Pierre qui roule n'amasse pas mousse, pierre qui roule déplace sa pouce.

2 commentaires:

Unknown a dit…

Quelle magnifique soirée tu as dû passer !

J'espère que tu te rends compte de ta chance.

Par contre j'ai du mal à saisir, un bateau avec un phare ?? Euuuh moi pas visualiser du tout là...

A. Kelly a dit…

Pourtant c'est exactement ça, comme sur la peinture, cherche "bateau phare" sur google image pour te faire une meilleur idée.
Et c'est un de ces bateaux qui abrite la boite dans laquelle a eu lieu ladite soirée...