vendredi 21 août 2009

Mélomanie technologique





Aujourd'hui Ahmed avait décidé de se reposer et de ne pas écrire, histoire de ne pas assécher sa source d'inspiration, ce qui est un rien paradoxale car tout écrivain qui se respecte vous dira qu'il vaut mieux que l'inspiration soit sèche, ça brûle moins la gorge.

Mais bon que voulez vous, Ahmed ne peut pas s'en empêcher et puis franchement l'alternative est si peu brillante qu'il préfère prendre le risque de subir l'angoisse de la page blanche, il doublera les rations d'inspirations...

De toute façon, depuis que les habitants de la ville lumière l'ont fuit pour laisser la place aux éphémères, et si facilement bernables, clients de la période estivale, Ahmed trouve la vie plutôt calme. Les acharnés de la trompe étant en train d'exercer leur dévorante passion sur les routes de Provence, les rues du 8e parigot sont d'un calme olympien, comme quoi il n'y a pas que des désavantages à bosser dans un quartier de nantis. Ahmed a tout de même un petit pincement au coeur quand il pense à ses amis bergers dont les bêtes se font des ulcères à chaque fois qu'un de ces énervés croient voir un camion de livraison mais il se dit pour se rassurer qu'il y a bien longtemps que les bergers ne se font plus de gras avec les panses de leurs brebis et que, puisqu'il parait que les plantes poussent mieux en musique, ils se rattraperont bien au moment de la moisson (en espérant que Marie-Jeanne n'ait pas trop l'oreille musicale). Et après on émet des doutes quand Ahmed dit qu'il fait dans le social, pourtant depuis qu'Ahmed fait garder les troupeaux de Marie-Jeanne par les bergers provençaux, non seulement ils ont beaucoup moins à se fatiguer mais en plus ils peuvent garder leurs compagnes à quatre pattes bien plus longtemps, en n'ayant juste à les peloter un peu de temps en temps pour les soulager et en ayant même plus à vivre dans la puanteur d'une fromagerie artisanale. Parfois, Ahmed se dit même qu'il aurait pu être berger : le grand air, la liberté, le clébard vif et intelligent, une parfaite existence d'épicurien quand on y réfléchit.

Seulement voilà, la vie dans les pâturages présente des inconvénients intolérables pour Ahmed Kelly. Pour commencer, la solitude. Ahmed n'est pas contre, loin de là, il vit d'ailleurs dans une relative solitude dans son palais d'ivoire (oui les tours c'est grave pas éco-friendly, Al G. et Yann A.-B. sont de bons clients, ne les fâchons pas) sauf qu'à tout moment, d'un claquement de doigt, il peut faire venir un garde qui s'empressera d'accéder à sa moindre demande (ou de la transmettre à quelqu'un qui sait lire, le cas échéant). Alors que perdu au milieu d'une colline pourrie avec douze chèvres rachitiques et un cabot abruti, quand votre briquet vous lâche, vous pourrez toujours courir pour vous en griller une petite. Et c'est là qu'on regrette de pas avoir pris danse de l'orage au camp scout...
Deuxième problème de taille, la technologie. Imaginons que vous ayez de la chance et que vos biques acceptent de paître pas trop loin d'une antenne relais, alors vous aurez peut être la possibilité d'afficher google en moins de 5 minutes sur votre téléphone 3G+ mais après avoir annihilé tout ce qu'il vous restait de patience pour regarder les infos, il y a de forte chance pour que cette petite merveille de technologie crie famine et vous fasse la gueule jusqu'à ce que vous lui ayez donné son électrique pitance. Et là rebelote : vous pouvez toujours vous brosser pour trouver du 220 en rase campagne. Vous me direz qu'avec ses moyens Ahmed pourraient palier à ce problème et installer un groupe électrogène ou une éolienne à proximité du pâturage. Sauf que de cette façon vous pourrissez complètement le concept de retour à la nature et de retraite verte et puis si vous croyez que ses putes de chèvres accepteront de rester tout un été à portée de câble d'alimentation d'une source électrique vous fourrez le doigt dans l'oeil jusqu'aux bronches : une chèvre ça a besoin de se dépenser et surtout ça bouffe ; en troupeau ça te désertifie un terrain de foot en une nuit. Du coup, à part le solaire, oualou ! et Ahmed n'a pas envie de se promener avec un chapeau ridicule recouvert de cellules photovoltaïques.

Et là vous vous dites que c'est quand même bien malheureux de se fermer tant de portes à cause d'une bête dépendance à la technologie et Ahmed vous rétorque que la plupart des gens se ferment aussi beaucoup de portes à cause d'une bête dépendance à la santé. Mais ce n'est que de la mauvaise foi parce que dans le fond Ahmed sait bien que vous avez raison, il ne peut pas se passer d'un ordinateur ; et pas, comme vous vous l'imaginez déjà, bande de satyres, pour se rincer l'œil devant des comptes rendus visuelles de réunions saphiques. Non, Ahmed le confesse ce n'est pas la fesse qui l'attire mais le clavier ; dérèglement générationnel oblige, il écrit mieux, plus rapidement et plus efficacement sur un clavier qu'avec une plume et sa passion pour l'écriture est en grande partie liée à l'instrument.

La danse rapide des doigts sur les touches, le rythme et la musique qui en découlent, la précision mécanique et irréelle des mouvements, la transe qui l'accompagne, tout cela fait partie intégrante de l'écriture pour Ahmed et le lui enlever serait lui gâcher son plaisir. Il choisit même ses claviers en fonction de leur sonorité et tel un mélomane rue de Rome, il parcourt les boutiques de la rue Montgallet en quête du clavier le mieux accordé. Lorsque son travail lui donne l'occasion de se rapprocher de la Silicon Valley, il se précipite, une mallette sous le bras, chez ce petit artisan qui fabrique encore des claviers selon la tradition dans l'ancien garage des Jobs. Là, sous une lumière vacillante, le vieil homme retire sa création de son écrin de velours et, méticuleusement, inspecte chaque touche, la nettoie, la réajuste d'un imperceptible mouvement de ses instruments d'orfèvre, puis il pianote doucement presque précautionneusement des mots que lui seul voit, caresse son oeuvre et la remet entre les mains d'Ahmed avec dans le regard la mélancolie de celui qui abandonne son enfant pour le confier à celui qui l'entraînera vers des mondes dont il n'ose rêver.

Cette douce mélodie, Ahmed sait qu'il ne pourra pas la retrouver en pleine nature et il laisse donc aux bergers la joie des grands espaces et le chant des brebis au clair de lune. Et puis franchement, abandonner des demeures somptueuses aux quatre coins de la planète pour aller se ruiner les lombaires sur un lit en paille, faut le vouloir. Certains diront que c'est désespérément matérialiste mais ceux là n'ont jamais goûté au luxe de la vie d'Ahmed Kelly. L'argent ne fait peut être pas le bonheur mais le bonheur est bien plus sympathique dans des draps en soie et des piscines de champagne, foi d'Ahmed Kelly !!

jeudi 20 août 2009

Voltaire est immortel




Aujourd'hui Ahmed est un peu stressé.

Non pas qu'il soit surchargé par le boulot, au contraire les affaires vont bien ; il n'a pas eu de nouvelles des gardes qui surveillent les petits revendeurs sur toutes les plages d'Europe donc tout doit aller pour le mieux ("pas de nouvelles, bonnes nouvelles" c'est de l'optimisation) et pendant la journée le mois d'août aidant Ahmed n'a pas besoin de se fouler.

Non Ahmed est stressé pour une autre raison : voyez vous Ahmed n'a pas vraiment l'habitude de se remettre en question, c'est un des travers de la vie de pacha, quand personne n'ose vous répondre par peur d'un quelconque châtiment, vous finissez par croire que tout ce que vous faites est parfait. Heureusement pour lui, Ahmed possède des amis proches qui ne s'embarrassent pas de ces considérations protectrices et qui n'hésiteront pas à lui rentrer dedans s'ils estiment qu'Ahmed le mérite. Seulement on ne travaille pas avec ses amis dans la branche d'Ahmed - si on veut les garder - et on ne leur soumet que trop rarement nos créations personnelles. Car voilà ce qui stresse un peu Ahmed, il crée depuis quelques temps, cela le libère , cela l'apaise et paradoxalement, car ses créations sont entièrement numérique et littéraire, il a la sensation de produire quelque chose de plus concret. Un type en toge plutôt inspiré a écrit un jour que les paroles étaient des papillons et les écrits des arbres (ou peut être n'a t il parlé que de leur persistance temporelle, je ne sais plus, les gens ne font pas assez de métaphore animalière...) mais ce gars là n'ayant jamais connu le futale, il n'a forcément jamais rien ajouté sur les blogs.

Vous me direz qu'Ahmed n'est pas stressé lorsqu'il écrit ici. Oui mais il y a une grande différence entre écrire un blog et écrire pour une commande ou écrire pour soi et ensuite donner sa production à un éventuel éditeur. Dans le premier cas, personne n'est là pour vous empêcher d'écrire et si l'idée me prenait d'écrire tout un article au passé antérieur il n'y aurait personne pour me le reprocher, puisque par définition l'internaute anonyme peut être le dernier des cons pour tout ce qu'Ahmed en sait. Par contre, lorsque la sanction (au sens générale du terme, rassurez vous personne ne fessera Ahmed) est immédiate et provient de quelqu'un qui a le pouvoir de décision sur la publication ou non de votre production alors l'enjeu apparaît et la réussite n'est pas automatique. D'où la remise en question : "Ô mon dieu qu'ai je fait ? Franck R. (sportif munichois - NdlR) écrit mieux que ça".

Vous qui connaissez Ahmed, vous allez vous étonner de lui voir aussi peu de confiance en soi. Oui mais justement c'est là que le problème d'autorité refait surface, Ahmed a une confiance totale en lui lorsqu'il s'agit de mener à bien une transaction, de corrompre un fonctionnaire pointilleux ou de présenter une de ses amies à un inconnu parce qu'il sait que les conséquences d'un échec ne seraient que de simples contretemps pour lui (pour les autres c'est un autre problème) et le collaborateur/client/partenaire qui lui manquerait de respect sait très bien qu'il risque de les présenter vite aux poissons ses respects. Alors que dans le cas qui nous occupe ce n'est pas possible, un éditeur avec un trou de la taille d'une balle de golf dans le front est aussi utile qu'un iphone 3G à Pyongyang (quoique ça a l'air de pouvoir servir d'arme quand il fait trop chaud...) et Ahmed n'a donc d'autres choix que de se dépasser, de donner ce qu'il a de mieux et de suer des mains en attendant le verdict ; et il sue d'autant plus des mains qu'il sait que ce n'est sûrement pas stressé qu'on produit des chefs d'œuvre (or Ahmed ne veut produire que des chefs d'oeuvre, narcissisme, orgueil et mégalomanie, un mélange au poil !!).

Par contre Ahmed n'a jamais tant écrit que ces trois derniers jours et ça c'est une bonne nouvelle parce qu'il a passé trois jours excellents et qu'il sent qu'il pourrait aisément faire ça tous les jours si on le payait pour. Si on le payait pour et si on lui donnait un meilleur bureau aussi, un meilleur siège notamment, parce que rester toute une journée courbé en face d'un ordinateur portable posé sur un tabouret c'est loin d'être recommandé par l'union française pour la santé bucco-dentaire, plus par l'association européenne de chiropractie mais Ahmed sent la cupidité fourrer son groin humide dans ce tas de fumier.

Mais rassurez vous ce genre de stress est bénéfique, il veut dire qu'il se passe des choses dans la vie d'Ahmed et que même seul il peut encore penser à autre chose qu'à Celle qui Éblouit et s'il se plaint un peu ici de ce stress ce n'est que par habitude et nécessité de relâcher un peu de cette pression car comme on dit chez lui : "les filles, couvrez vous, les homards sont encore gris".

vendredi 14 août 2009

Like a rolling boat





Il y a quelques jours, Ahmed Kelly a fait un voyage en bateau.

Ne vous interrogez pas sur ce qui me pousse à vous parler de ça, Ahmed Kelly a le pied marin. Son aïeul d'ailleurs, Ahmed Hassan Al-Zafir, était un marin réputé, corsaire à ses heures perdues et véritable gentilhomme de fortune à condition de ne pas être trop regardant sur les détails. Le fait qu'Ahmed Kelly prenne le bateau n'est donc pas en soi une révolution, ce sont les évènements dont le navire fut le théâtre qui valent le prix de l'encre.

Ahmed donc avait rendez vous avec quelques uns de ses amis proches sur un bâtiment un peu particulier. En amateur de belles coques et de traditions glorieuses, Ahmed s'attendait à être accueilli sur une majestueuse goélette ou une jonque exotique. Mais point de voiles, ni de gréement pour l'accueillir, le bateau est à moteur. La déception n'est tout de même pas totale car le navire n'est tout de même pas banal, il porte en effet en son sein, situé approximativement au milieu du pont supérieur, un phare. Pas le phare phallique qui affronte seul au bout d'une pointe rocheuse les caprices de la mer, symbole de la fierté masculine combattant isolée la fureur féminine (sic) et refuge de rêveurs ou de machistes éconduits, mais un phare tout de même. Le bateau était donc original et paraissait être tout à fait approprié à la soirée à laquelle il avait été convié.

Vous le connaissez, Ahmed n'est pas du genre à arriver les mains vides à une soirée ; c'est donc en toute amitié, et par soucis de ravir les autres convives de sa présence, qu'il prit Madeleine comme cavalière. Pour ne pas vous mentir, Ahmed, sans être un habitué, avait déjà visité les cabines de ce vaisseau et possédait quelques points de repère. Il s'attendait donc à ce que lui et la petite troupe qui l'accompagnait rentrassent sans problème ; ils rentrèrent mais l'atmosphère semblait moins légère qu'à l'accoutumer. Le gardien devant la passerelle fit ouvrir les sacs, observa méfiant. L'hôtesse vérifia deux fois les invitations et eut un regard appuyé vers les écriteaux qui expliquaient les quelques règles en vigueur dans la soirée : "Toute descente du bateau est définitive" (les naufragés sont prévenus) et "La police est susceptible de fouiller les passagers [...]". A ce moment Ahmed se raidit, Madeleine à son bras tenta, d'une légère caresse dans le cou et d'un délicat baiser sur la joue de calmer les humeurs sanguines de son partenaire. Tout en lui glissant des mots doux à l'oreille, elle posa lascivement sa main sur le poignet d'Ahmed qui disparaissait déjà sous sa veste. Passant derrière lui en lui caressant les reins, elle l'entraîna vers la soirée. Ahmed, séduit par ces promesses de volupté, réprima sa colère ; en posant fermement la main sur le comptoir, faisant claquer au passage une bague et un bracelet en argent massif, il attira cependant l'attention du physio et d'un regard appuyé à l'affichette il posa ses conditions : au moindre soupçon de présence policière, il quitterait immédiatement la soirée par tous les moyens possibles et laisserait aller son ire contre les propriétaires du bateau.

Quelques pas dans la salle qui accueillerait le gros des festivités plus tard, l'incident était oublié et c'est au bar que nous retrouvons la petite équipée. Madeleine déjà ondule et réchauffe l'atmosphère mais les compères s'attardent quand même pour prendre un verre, question d'apparence : même s'il est plus que courant d'arriver dans ce type de soirée avec un taux d'alcoolémie que la médecine moderne déconseille, il faut montrer à l'assistance, aux serveurs et à leurs employeurs que vous êtes encore tout à fait capable de boire un verre et a fortiori de le commander. Verre en main, déjà à moitié fini toujours pour les mêmes raisons, les amis se rapprochent de la scène, où se produit un couple de musicien visiblement peu préparé, visuellement un peu branché et virtuellement talentueux. Malgré la pauvreté du set, tant au niveau musical que scénique, Madeleine se prend au jeu, danse et fait danser.

Les deux musiciens ne font pas long feu et les convives profitent du changement d'artiste pour visiter un peu le reste du navire. Sur le pont, les autres invités discutent, boivent et fument. Ahmed et ses amis se mêlent à la foule, Madeleine la première aborde les inconnus et fait les présentation avant de poursuivre vers un autre groupe. Ahmed fait la connaissance d'un trio de jeunes filles bataves, d'un photographe amateur et attitré et de divers convives. Les trois étrangères apprécient l'occasion et le photographe ne la rate pas de prendre Ahmed comme modèle, d'abord à la sauvette, puis avec son assentiment et enfin sur commande lorsqu'Ahmed a vérifié son identité auprès d'un garde.

Madeleine a de nouveau envie de danser et Ahmed et ses amis la suivent. En bas, le musicien a changé, sa musique est plus travaillée mais moins accessible, il fait lever les bras et bouger les corps puis surprend les esprits avec une séquence arythmique proche de la cacophonie électronique. L'écoute n'en est pas aisée et les arrêts au bar sont fréquents et nécessaires. Madeleine, elle, s'échauffe de plus en plus, fait tourner les têtes, embrasse et caresse, elle communique son envie et transpire la joie, l'allégresse et l'amour.

Arrive enfin le clou de la soirée, celui pour qui Ahmed et ses compagnons se sont déplacés, un magicien de la musique électronique qui, armé d'une simple table de mixage et d'un ordinateur portable, transporte les auditeurs sur des territoires inexplorés et fantasmagoriques ; sans une pause, il élève l'âme et l'esprit, les faits voyager quelques temps et les ramène calmement sur terre une fois la ballade terminée. Sans heurts ni fracas, inexorablement, il hypnotise, sublime puis repart, humble. Madeleine bien entendu est aux anges, elle entre en transe et nous entraîne tous avec elle.

Le set, toujours trop court, se termine et la petite troupe retourne sur le pont se remettre de ses émotions et se désaltérer. Les discussions se font plus vives et plus passionnées, les nerfs sont encore excités de ce qu'ils viennent de vivre ; Madeleine grince des dents, elle souhaite retourner danser. Un petite aller-retour vers l'antre musicale permet à Ahmed de se rendre compte de la pauvreté artistique de celui qui finit, incapable de relever le défi d'un tel enchaînement. Ahmed remonte donc tenter de calmer Madeleine et discuter avec les convives qui refusent encore de s'avouer vaincus. Les discussions se font moins intéressante mais le dj qui les a tant fait rêver apparaît, toujours aussi humblement, accompagné de sa maîtresse et de quelques uns de ses amis, Ahmed tient à féliciter en personne le musicien et ils discutent ensemble quelques instants, partageant leur point de vue d'une soirée qu'ils partagèrent sans le savoir, savourant leurs goûts musicaux communs.

Madeleine repartit un peu frustrée de ne pas avoir pu danser plus longtemps et le fit bien comprendre à Ahmed et un de ses amis avec qui elle rentra mais dans l'ensemble elle fut satisfaite. Ahmed aussi, il y avait bien trop longtemps qu'il n'avait pas fait honneur à la mer en la parcourant en bateau et ce court voyage lui en redonna le désir, il prit, en rentrant, la résolution de récupérer, par les armes si il le fallait, le brick que la douane britannique avait arraisonné l'an passé à Gibraltar et de faire au plus tôt le tour des îles de la méditerranée, si propice à la débauche.

Quand le soleil fit poindre ses premiers rayons le matin, Ahmed se glissait doucement sous les draps. Six heures plus tard, Madeleine sonnait frénétiquement à la porte et vint rappeler à Ahmed qu'elle n'est pas de ses amies dont on ne s'occupe pas le lendemain ...

Ahmed est content d'avoir repris contact avec sa vieille amie, malgré ses agaçants petits défauts, mais surtout il s'est rendu compte qu'au plus vite, il doit reprendre le large avant que le corail ne l'ancre définitivement à quai. Pierre qui roule n'amasse pas mousse, dit le proverbe mais cette pierre n'a visiblement jamais entendu parler des travelers check et Ahmed sait bien que la mousse ne s'amasse que sur ce qui est abandonné ou immobilisé. Or vous le savez, jamais il ne sera possible d'arrêter Ahmed Kelly.

Pierre qui roule n'amasse pas mousse, pierre qui roule déplace sa pouce.

mardi 11 août 2009

Icarus was a genius




Aujourd'hui Ahmed Kelly a la pêche.

Et ouais, ça lui arrive parfois n'en déplaise à certain.

Ahmed Kelly a la pêche car il a cédé à la pression sociale, à la fatigue et aux regards aguicheurs de la femme qui éblouit et il a fait son pèlerinage annuel à la grande bleue. Vous le savez Ahmed Kelly n'est pas du genre à se faire dicter son comportement par la mode et la masse - est mouton qui veut mais malheur à celui qui tentera de tondre Ahmed - pourtant il a suivi pour un long week end l'aoûtien pâlot, fait la nique au juillettiste bronzé-grisâtre et maudit le saisonnier, le rentier et l'autochtone cuivré.

Mais point d'aigreur, ni de sarcasme aujourd'hui car Ahmed a eu la joie de regoutter à un des meilleurs excitants que la création ait procuré à l'homme atteint. Atteint de quoi vous demanderez vous ? Et bien, pas de la rage pour commencer ; non atteint d'une maladie beaucoup plus pernicieuse : l'inadaptation.
La plupart de nos semblables s'adaptent assez facilement à l'existence calme et triste qui est la leur au point de la défendre bec et ongle contre les sybarites qui font l'apologie de leur mode de vie. Ils s'y adaptent même si bien qu'ils l'ont intégré dans les doctrines, les croyances, les devises et les maximes qu'ils inculquent à leurs progénitures et que les oligarques utilisent contre eux pour brimer leurs libertés et pire encore leur volonté d'être libre. Ahmed n'est pas de ce type, il entend l'appel du roi-lézard, il n'a pas oublié sa part de Rimbaud et surtout il fait de la contrebande, métier qui possède l'un des meilleurs rapports horaires-de-travail/bénéfices de la création. Ahmed, comme beaucoup de ses plus proches amis et comme tous ceux qu'il croise et reconnaît au cour de ses pérégrinations, n'est pas sensible à cette propagande. Jeune, il contredisait ses précepteurs et riait de leur embarras à travers les voilures de Marie-Jeanne ; plus vieux au bras de Caroline après près de 50 heures de vieille, il narguait l'automate qui cherche entre ses jambes la raison pour laquelle il est sorti de son lit ; aujourd'hui, il voyage 12 heures sans bouger et défie les frontières de l'espace et du temps dans le giron de Lucy. De tout temps, il a siroté son verre l'air goguenard devant celui qui boit pour oublier et s'est délecté de ses goûts singuliers en matière d'art quand il entend la n-ième conversation, répétée par les mêmes personnages interchangeables à propos des mêmes gens qui peuplent les romans et autres films prédigérés vers qui la masse se précipite comme l'essaim vers la lumière. Ahmed n'est pas le seul dans ce cas et d'aucuns diront qu'il fait parti d'un autre essaim mais ceux là tirent sur l'ambulance et tant qu'ils ne se seront pas retirés dans la forêt en autosuffisance leur attitude sera toujours ridiculisée par la poutre qui leur déforme la cavité oculaire. Ahmed, même s'il contemple avec morgue et suffisance la plèbe, sait bien que la société, ses courants, ses remous, ses écueils et ses récifs lui sont indispensables pour continuer à barrer la vie qu'il mène. Au royaume des aveugles le borgne est roi mais Gatsby n'aurait pas été magnifique à la cour de Crésus.

Bref, Ahmed, et la plupart des gens de son genre, gènent toutes les générations qui jouent le jeu, ils sont inadaptés pour la partie qu'on leur offre. Pour eux, ensuite, peu de solutions : briller, plier ou fuir. Ahmed a choisit de briller, et il espère que de passer trop près du soleil il ne fondra pas trop vite. D'autres choisissent de plier, de se forcer et de rentrer dans le rang ; généralement ils souffrent toute leur vie, en silence le plus souvent, en souffrance parfois et malheureusement en violence pour ceux dont le feu ne peut être contenu indéfiniment. Enfin les derniers décident de descendre et de vivre en marge, de marcher sur la berge. Ahmed profite de tous ces gens, car Ahmed n'est pas un saint, car Ahmed sait que ces gens ne s'en sortent pas seuls, car ses amies sont bonnes et libératrices pour ses semblables. Et donc, elles sont partout, elles les soutiennent tous, les meilleurs amies d'Ahmed, celles avec qui il s'est brouillées, celles qu'il n'a jamais voulu aborder, celles qui l'accompagnent toute la journée et celles qu'il ne retrouve que trop rarement. Mais de trop passer de temps enfermé, dans les grottes de Babylone ou celles de Sybaris, il avait oublié la meilleure de toute, celle qui ne fait pas de distinction et réchauffe les cœurs de tous sans distinctions : la soleil.

Ahmed s'en veut presque de l'avoir ainsi négligée, il aimerait se racheter et sacrifier en son honneur. Mais il sait que cela n'est pas nécessaire car elle n'a jamais douté, elle a toujours été là pour tous et toujours elles nous a montré le chemin, elle nous a donné l'exemple. De tout temps elle a brillé pour nous attirer, pour que nous la contemplions et celle qui éblouit presque autant l'a bien compris : "Lève la tête, disait elle encore à Ahmed alors que celui-ci était tenté de se laisser aller au désespoir, le bonheur ne se trouve pas par terre."

Finalement, les insectes ont tout compris : ce qui éblouit est beau et, au risque de se brûler, ce qui éblouit est attirant, ce qui éblouit emplit notre cœur de chaleur et de bonheur et nous tous, nous avons toujours, au fond de nous, rêvé de vivre en son sein.