jeudi 5 novembre 2009

Lettre ouverte à M.Eric Besson





Aujourd'hui, vous voulez parler d'identité nationale, c'est vous qui le dites pas moi, mais vous nous donnez à tous la parole et dans ce cas je me vois obligé de la prendre, Ahmed Kelly n'est pas du genre à refuser un cadeau.

Oui, moi, Ahmed Kelly, vais aujourd'hui parler de l'identité nationale française. Ceux qui me connaissent trouveront peut être cela bizarre, comment en effet quelqu'un qui se réclame apatride, grand chantre de la mondialisation et de l'abolition des frontières, à l'identité douteuse et à la généalogie obscure peut il parler sérieusement de ce qu'est l'identité d'un peuple dont il ne fait que parler la langue. Et bien cet homme que vous, messieurs qui portez si bien le portefeuille, n'accepteriez sûrement jamais à votre table de peur que l'information ne se retrouve par un hasard déplorable sur le bureau d'une publication que vous ne contrôlez pas, vous qui n'hésitez pas à affréter des avions pour renvoyer mes semblables au devant d'une mort certaine mais qui fermeriez volontiers les yeux sur mes problèmes de nationalité si vous calculiez les revenus que génèrent pour vos finances mes activités dites douteuses ; cet homme va vous parler d'identité nationale car depuis qu'il sait lire, il a rêvé de la France et depuis qu'il le peut, il y vit. Il a rêvé d'une France qui rêvait à l'international, il a rêvé d'une France que l'on admirait de par les mers et les terres, il a rêvé d'une France à la pointe de la pensée humaniste. Il croyait que dans le pays des droits de l'homme, il pourrait vivre comme un homme, qu'il serait reconnu en tant que tel et que son intellect prévaudrait sur sa couleur de peau ou sur sa langue d'origine.

J'ai été élevé dans une des langues les plus difficiles et les plus riches qui existent, des millions de pages, d'idées, de pensées, de raisonnements et de vers ont été écrits dans cette langue et pourtant dès lors que je l'ai découvert, je n'ai eu de cesse de vouloir l'apprendre le français et de le maîtriser parfaitement. Je pensais que cette langue était le passeport vers la philosophie et l'humanisme, je pensais que n'importe où dans le monde elle serait comprise et appréciée et que celui qui la parle serait immédiatement respecté. Pour moi le français, l'homme, celui qui est né en France, celui dont les ancêtres ont promené les premiers des têtes d'aristocrates au bout d'une pique, celui qui a organisé des funérailles nationales au plus grand de ses écrivains, celui qui réserve à ses grands hommes et à ses grandes femmes, ses scientifiques, ses penseurs et ses poètes l'un des plus beau monument de sa capitale, celui qui descend dans la rue pour défendre la démocratie et les droits de l'homme, celui qui élève au rang d'art la cuisine, celui qui a écrit des articles et des pièces qui ont fait vaciller des gouvernements, celui-là était mon héros ; celui là je voulais le rejoindre et lui ressembler.

Je ne voulais pas nécessairement vivre en France, tant qu'on me laissait le droit d'y aller et d'y circuler à ma guise, je ne voulais même pas forcément être français, car je n'ai que faire des avantages d'une nationalité et je me fiche de pouvoir choisir des gouvernants qui n'auront pas de prise sur moi. Par contre, je voulais rejoindre la communauté intellectuelle francophone, je voulais être de ceux qui peuvent se sentir fier des discours prononcés dans leur langue, je voulais faire parti de la nation qui envers toute considération économique ou militaire s'insurgerait contre une initiative guerrière inique, qui serait à l'origine de négociations de paix désespérées, qui malgré la pression de la communauté occidentale tendrait la main vers les peuples souffrant de l'opprobre diplomatique. Je pensais que dans cette ère moderne, d'échange, de voyage, de mondialisation, d'internationalisation, ce pays, qui a battis sa devise sur les écrits de penseurs éclairés qui n'ont pas eu peur, il y a de cela plusieurs siècle, de puiser dans les sagesses orientales et arabes les idées qui allaient révolutionner non seulement leur pays mais aussi la pensée de tout un continent, pour les siècles à venir ; je pensais que ce pays serait celui qui m'accepterait le mieux et dans lequel je verrais apparaître le nouveau phare qui indiquerait au monde les récifs et les écueils de cette période troublée.

Pour moi, l'identité nationale française ne repose pas sur un drapeau ou sur un hymne guerrier mais sur une pensée, une ouverture d'esprit, une philosophie qui donne à tous ceux qui la partagent une fierté intellectuelle qui ne s'embarrasse pas de couleurs de peau, de nationalités ou de confessions. La France, pour moi, était un havre de paix, le creuset dans lequel tout un chacun pouvait apporter sa culture et ses traditions et ainsi poser sa pierre à l'édifice d'une humanité meilleure ; mais peut être n'étais-je alors et peut être resté-je un enfant rêveur.

Car aujourd'hui, que vois je ? Je vois des gouvernants qui bafouent cette langue que j'admire, je les vois tenter de discourir et de donner du sens à des mots qu'ils ont l'air de ne pas comprendre, je vois un parti qui tente de s'ériger en parti unique faire perdre à ses propres membres la faculté de penser par eux mêmes, je les vois, à l'unisson, abreuver de formules et de phrases toutes faites qui sentent plus le bois que la plume, des médias, qui ont pratiquement oublié l'idée d'indépendance. Je les vois piétiner sans cesse l'héritage des Lumières, je pleurs presque chaque jour de voir ce pays de liberté se transformer et dépérir. Je les vois chaque jour tenter par des pirouettes intellectuelles de bas niveau de justifier leurs exactions et leurs manœuvres politiciennes, et je souffre de les voir alimenter ce massacre déplorable d'une philosophie éternelle pour le bien de petits privilèges mesquins. Tels les personnages de Molière, ils sont les caricatures des maux qui pourrissent une société mais malheureusement pour nous, ils font de la France une terre de rejet où ce n'est pas de sitôt que nous reverrons germer les pouces d'une culture d'avant garde qui redonnera au monde un cap et aux français une identité.

M. Besson, je doute qu'un jour vous ne lisiez cette lettre mais je doute de tout un tas d'autre chose. Mais le cas échéant, j'espère que j'aurais réussi à vous toucher car je crois qu'au fond de vous, malgré l'image que vous montrez, malgré vos exactions politiques de ces trois dernières années et malgré tout ce que mon instinct me fait penser de vous, il y a un homme intelligent, un homme qui croit que Voltaire est immortel et qui fera tout pour qu'il le reste et pour ne pas participer à sa destruction.

Veuillez, monsieur, accepter l'expression de mes sentiments les meilleurs ; vous ne me rencontrerez jamais mais j'espère pouvoir participer au débat.

Sincèrement,

Ahmed Kelly

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