jeudi 30 juillet 2009

Vade Retro Satanas

Aujourd'hui Ahmed Kelly va être un peu geek parce que c'est un homme de son temps et que celui ci est à la technologie.

Entre parenthèse, d'ailleurs, on utilise un peu à outrance l'appellation geek de nos jours, je trouve. Il y a peu j'ai eu le plaisir de lire que ce cher François F. se disait geek ; avide de savoir quand se déroule les soirées LAN à Matignon, je me ruai sur l'article pour découvrir que François F. se dit geek parce qu'il connaît le dernier né des reflex numériques de chez Sony, qu'il a le wifi et au moins deux ordinateurs portables à la maison, dont un serait, selon certains commentateurs irrévérencieux, un macintosh. Mais ce cher monsieur a t il même déjà ouvert un manga ? A t il déjà posé ses mains sur une manette (nous ne dirons rien sur les mallettes nous ne sommes pas ici pour lancer des rumeurs infondées) ? Peut il citer de mémoire le nom d'un seul x-men ? A t il un quelconque pseudo et un quelconque avatar sur un quelconque site internet ? Je ne m'avancerai pas à répondre à ces questions parce qu'Ahmed ne connaît pas François F. en dehors du milieu professionnel mais le simple fait qu'il fasse partie des gens qui place un 'l' apostrophe devant internet me laisse penser qu'il ne doit pas être en mesure de répondre par l'affirmative à beaucoup de mes interrogations. Je poursuis la parenthèse pour calmer tout de suite l'indignation que je sens poindre chez ceux qui lisent entre les lignes : je ne réduis absolument pas les geeks, les vrais, aux grands enfants qui passent leurs soirées à jouer aux jeux vidéos dans une chambre recouverte de posters représentant des jeunes filles nubiles issues de l'imagination d'un obscur dessinateur japonais avec leurs amis virtuels jouant aux mêmes jeux dans une autre chambre recouverte du même genre de posters. Restons fidèle à la définition, le geek est quelqu'un qui se passionne plus que de raison pour un sujet que la majorité considère comme futile voir infantile, et, par extension, on met dans le lot les adolescents et adultes attardés qui tournent les pages de leurs bande dessinées à l'aide de leurs pouces à la musculature surdéveloppée. Ahmed a par exemple, parmi ses connaissances, une jeune fille aux multiples talents et à l'extraordinaire efficacité lorsqu'il s'agit d'abattre un concurrent gênant dans les embouteillages, qui est une geek totale et assumée pour tout ce qui a trait à la moto. Il est vrai que, de par son mode opératoire, elle a plutôt intérêt à se tenir aux courants des dernières nouveautés dans le monde magique du deux-roues mais vous avouerez que discuter sur un forum de couleurs de jantes avec Ghostrider78 dépasse largement le cadre de la veille technologique pour pratiquer l'assassinat motorisé. Ahmed considère donc cette jeune fille brillante comme une geek et cela n'entame en rien l'affection qu'il lui porte.
Bref, refermons cette parenthèse sur nos amis les geeks et parlons informatique.

Depuis qu'il travaille dans un bureau dans un immeuble haussmannien, Ahmed est obligé d'utiliser l'ordinateur fournit par l'entreprise et entretenu par ce cher Face de C. qui vous a été présenté en termes élogieux il y a peu. Maintenant que vous le connaissez vous vous doutez que cette sombre merde (excusez mon langage) constitue un responsable informatique à peu près aussi efficace qu'un junkie gardien de but. Ahmed doit donc se coltiner à longueurs de journées un ordinateur poussif qui tourne malheureusement sous windaube xp avec tous les logiciels propriétaires qui étaient imposés par les fabricants avant que la court européenne ne s'en mêle, et notamment Internet Explorer huitième du nom. Passons sur le fait que ce cher Face de C. ne veut pas installer un autre navigateur parce que "ça serait trop compliqué et puis vous vous rendez compte du temps que cela me prendrait ?!" ou sur le fait qu'il préfère voir ses machines freezer toutes les demi-heures lorsque la température extérieure dépasse les 25°C plutôt que d'apporter un peu de compagnie au seul ventilateur par machine qui tourne en sous régime ("il y a des gens qui se sont plaints que les ordinateurs faisaient trop de bruit quand les ventilos tournent trop alors je laisse comme ça", dans des bureaux où les photocopieuses tournent en continue et au milieu du couloir pour que tout le monde en profite mieux et où même fenêtres fermées, on a droit à un concerto en klaxon mineur toutes les demi-heures, il y a de quoi trouver l'argument fallacieux...), pour se concentrer sur le coeur du problème : Microsoft.

Alors que les vilains, en ces temps de crise économique, semblent passer des communistes et des intégristes religieux aux grands patrons et aux grands industriels, la firme de ce vieux Bill G. continue tranquillement à abuser de sa puissance et de sa position. Economiquement et stratégiquement parlant on ne peut pas renier le passé de la boite qui a réussi jusque dans les années 90 ce dont tout bon entrepreneur rêve toutes les nuits : obtenir un quasi monopole sans avoir à commanditer d'assassinats. Or force est de constater que, depuis, le prestige et la réussite de l'entreprise sont en chute libre. Et ce pourquoi ? Et bien simplement parce que, si Bill G. pouvait être considéré comme un génie de l'informatique et un précurseur lorsqu'il fumait des joints avec Steve J., il n'a absolument pas su s'entourer de gens aussi brillant que lui. En effet, depuis que Billou s'achète un golf lorsqu'il a envie de faire une petite partie, les gens qui dirigent la société qu'il a fondé semblent vivre dans un doux rêve où le monde extérieur n'existe plus. Lorsque tous les professionnels de la profession et tout ce que le monde porte de geek conspuent leur dernier navigateur internet et argumentent à coup de tests correspondant à des standards du web universellement reconnus et utilisés, ils affirment sans ciller que leur programme est le plus rapide et le plus sûr, tout en sortant une mise à jour d'urgence pour corriger une faille de sécurité (le simple fait qu'ils aient instauré un UpdateTuesday me semble incroyable). Alors qu'ils perdent de plus en plus de part de marché dans ce domaine, la dernière mouture de leur logiciel n'est encore pas capable d'afficher correctement la plupart des sites internets, rognant un bout de paragraphe par là, n'affichant pas une image sur deux par ici, n'adaptant qu'une police sur deux à la résolution de l'écran un peu partout, sans parler du fait qu'il est lent, capricieux et à peu près aussi sûr qu'une passoire en guise de casque. Mais leurs concepteurs continuent à en faire la promotion comme s'ils venaient de révolutionner le marché du couteau de table ; pour Ahmed c'est aussi incongru que si un type de la poste venait lui annoncer que son courrier arriverait vachement plus vite maintenant que les chevaux ont été remplacé par des solex.
Malheureusement par ignorance une grande majorité de consommateurs continuent à utiliser cette bouse informatique et à ne pas se demander si ils pourraient faire quelque chose pour ne pas avoir à deviner la fin des phrases de leur blogueur préféré. Mais ce qui est le plus grave là dedans c'est que personne chez Microsoft ne semble se rendre compte de ce qui se passe pendant que des centaines de traders se pendent à chaque annonce des bénéfices en baisse de la boite. Pourtant quand on a les moyens que possèdent les successeurs de Bill G. il ne doit quand même pas être compliqué de débaucher des programmeurs dignes de ce nom capables de rendre l'informatique agréable à cette masse incroyable d'internautes spoliés. Surtout qu'économiquement parlant, puisque c'est à priori tout ce qui motive ces gens là, le pognon, quel peut bien être l'intérêt de continuer à vendre à ses clients des programmes pourris ? C'est un peu comme si Ahmed s'entêtait à inviter Sherazade, la cousine vérolée et gangrenée de Marie-Jeanne, à toutes ses soirées en la couvrant de fond de teint et en refusant de voir cette dernière qui fait des grands signes derrières le videur.

Ahmed s'imagine lorsqu'il contemple la ville depuis son penthouse que les dirigeants de cette boite sont foncièrement mauvais et qu'une part caché de leurs programmes leur transmet les images et les réactions de chaque utilisateur de part le monde qui s'arrache les cheveux ou qui contemple bovinement un rapport d'erreur. Ahmed pense même qu'ils organisent des orgies où ils violent des mères de famille dans des mares de pétrole brut en écoutant à fond les cris d'angoisse de leurs consommateurs désespérés pendant que des écrans géants diffusent les images d'enfants en pleurs.

Bref, tout ça pour dire qu'Ahmed pense que si ses messieurs les juges du TPI s'emmerdent ils pourraient se pencher sur le cas de ces industriels qui à l'instar des dirigeants de Microsoft s'engraissent en profitant des failles du système, de situations de monopole ou simplement de leur pouvoir financier en bafouant allégrement et en vrac les droits de l'homme, le droit international et toutes les recommandations que de plus en plus de scientifique font pour éviter de transformer notre planète en poubelle aride et désolée. Ces messieurs qui vivent dans leurs tours d'argent en fermant les yeux sur tout le mal qu'ils font sont les champions du crime contre l'humanité et Ahmed veut bien investir dix fois ce qu'il paie à interpol pour ne pas se faire embêter pour que ces bâtards puants paient un peu pour leurs crimes.

Ahmed prédit même qu'à la prochaine révolution ce ne sont pas les têtes des politiciens qui feront le tour des villes au bout d'une pique mais celle de ces mécréants. Et il y a fort à parier que les membres d'Action Directe étaient bien plus visionnaires qu'ils ne l'imaginaient.

mardi 28 juillet 2009

Kitchen counter-party

Ce week end, Ahmed a passé une soirée des plus sympathiques.

Pourtant de prime abord elle ne semblait pas gagnée. La veille en effet il avait pu se régaler d'un rôti préparé amoureusement et légèrement apéritivement par l'hôtesse d'un dîner commémoration et dépense d'une saison, et de sa recette, de théâtre dûment remplie. Le rôti était savoureux et le vin agréable au palais, malheureusement l'inertie des grands groupes, qui est quadruplée quand les convives sont de bonnes compagnies et ont l'habitude de se voir dans les tenues les plus improbables, joua avec notre appétit jusqu'aux dernières lueurs du soleil et nous emmena jusqu'à tard dans la nuit. Le lendemain, pour Ahmed comme pour la plupart de ses amis ayant un travail à horaires plus ou moins fixes, fut donc de ceux que l'on appelle difficile.

Les horaires d'Ahmed en ont donc pâti car il est partisan de les réduire pour les rendre plus efficaces plutôt que de les respecter pour en baver syndicalement ; mais vous qui connaissez Ahmed vous savez qu'une des branches dans lesquelles il travaille possède un emploi du temps assez souple et surtout nocturne et que pour l'autre il possède la conscience professionnelle d'un bourrin, au sens animalier du terme. En milieu d'après-midi, Ahmed ayant clos le dossier qu'il traînait comme un boulet depuis plus d'une semaine, la cloche de la liberté sonna trois fois et Ahmed s'en alla gaiement dans les rues de la capitale. Par acquis de conscience et dans l'espoir, un peu vain il le sait maintenant, de trouver une perle rare, Ahmed tenta d'aller faire les soldes au milieu des touristes qui pullulent en cette saison dans le quartier des grands boulevards comme les pustules sur les fronts des récents bacheliers. Vous vous en doutez, la tentative fut vaine. Même celle de partager une sèche avec son ami C., tueur à gage sévissant dans la région, fut un échec retentissant. Bref, au moment de prendre l'apéro, les jambes d'Ahmed sont sciées, son moral au plus bas et son envie de meurtre inversement proportionnelle.

Heureusement, l'apéro-jean est un concept qui devrait faire école, en tout cas c'est une façon de faire ses courses qu'Ahmed apprécie tout particulièrement. Expliquons un peu ce qu'il en est pour le lecteur sous-informé : derrière une marque branchée, écolo, équitable ou éthique se trouvent toujours des gens qui rarement dans leur vie se sont servis d'une machine à coudre mais qui sont versés dans l'art obscur de l'économie de marché ; or ces gens ont des amis et aimeraient bien parfois allier l'utile à l'agréable tout en se rapprochant un peu du métier du petit personnel ; ils organisent alors des ventes privées durant lesquelles amis et amis d'amis partagent une boisson alcoolisée avant d'acheter ce qu'on veut bien leur vendre à des prix préférentiels bien entendu. Dans le cas qui nous occupe l'entrepreneur vend des jeans et lui, Ahmed et quelques amis à l'un ou à l'autre burent des mojitos, frais et bien dosés. Il n'en faut pas plus pour relancer un Ahmed vanné et lancer tout simplement une soirée prometteuse.

Alors que le soleil a depuis longtemps abandonné l'espoir de les accompagner dans ce qui sera, et ce qui était prévu pour être, l'évènement principal de la soirée, Ahmed et deux partenaires théâtrales lèvent le camp, quittent la source de mojito et s'élancent sur les grands boulevards, toujours eux, en direction de l'appartement qui les avait déjà accueilli la veille pour ce fameux rôti. Après deux arrêts pit-stop, les batteries sont convenablement nourrie (grâce à un vertical mélange de pain, de patate et de poulet à la friture) et les munitions abondantes. Les trois compères arrivent donc triomphalement, quoique pas forcément habillé pour l'occasion, à destination. Il faut savoir à ce moment du récit que la soirée possédait un thème qui nécessitait une certaine maîtrise de l'art délicat du déguisement, maîtrise qu'Ahmed n'a pas surtout quand il découvre le thème la veille au soir. Ahmed et ses amis, un poil plus imaginatif que celui-ci, débarquent donc dans une soirée où poséidon trinque avec le marin Jean-Paul G. et où Bob l'éponge taille le bout de gras avec un pirate qui n'a pas vu les caraïbes depuis longtemps (celui qui découvre le thème de la soirée à partir de ces maigres indices gagne mon admiration éternelle. Et une cuite.). Mais Ahmed n'est pas du genre à abandonner par manque de déguisement, il enlève donc le jean qu'il a autour du cou, fait rapidement tomber la veste et part à la recherche de la nouvelle source de boissons alcoolisées.

Et c'est ainsi qu'il se retrouve, comme souvent, dans la cuisine. Vous me direz que même si la plupart du temps les cuisines n'ont qu'une seule entrée, elles ne sont pas forcément des endroits sans issues dont il est impossible de s'échapper. Mais il se trouve qu'Ahmed, dans ce genre de soirée, apprécie fortement la cuisine. D'abord parce que c'est souvent l'endroit où sont entreposés l'alcool, surtout celui qui est destiné à être bu frais, et la bouffe. Ensuite parce que tous les convives de la soirée, à part ceux qui se débrouillent pour ne jamais aller chercher leurs verres eux-mêmes, doivent à un moment ou à un autre y passer, ou courir le risque de se déshydrater ; Ahmed en restant dans la cuisine est donc à peu près sûr de croiser, au moins quelques instants, presque toutes les personnes présentes, mais en plus il est susceptible de les croiser à un moment où elles seront plus enclines à partager et à rencontrer car en recherche de quelque chose, en pleine lumière et en retrait par rapport à la source de musique (non qu'Ahmed soit contre la présence de musique en soirée, vous connaissez sa mélomanie, même à un niveau sonore défendu par l'OMS mais il trouve assez désagréable le fait de devoir se pencher à l'oreille de son interlocuteur pour lui demander le beurre, surtout en ses périodes de pandémie latente.). Bref, Ahmed passe souvent beaucoup de temps dans ce qu'il appelle la "contre-soirée cuisine", non pas par envie de créer effectivement une contre-soirée autour de sa présence (ce qui pourrait entraîner des échecs assourdissants pour tout ego normalement proportionné) mais par commodité. Et encore une fois, grand bien lui en a pris car il a pu, pendant les 4 heures minimum qu'il a passé à recenser et à goutter les différentes boissons apportées par les invités et à les offrir gaiement aux assoiffés tel un satrape newyorkais en pleine prohibition, faire la connaissance de gens sa foi fort sympathiques, intéressants, drôles, cultivés ou passionnés et plus souvent qu'à l'ordinaire tout cela réunit. A l'heure où le soleil ne pensait pas retrouver ses enfants encore vaillants, Ahmed sortit de sa retraite pour profiter de la présence des plus résistants, les meilleurs, en écoutant les derniers morceaux, plus rock'n'roll, de la soirée qui n'auraient sûrement pas fait l'unanimité quelques heures auparavant. Deux heures après que Paris se fut éveillé, les mêmes meilleurs descendirent au café partager un petit déjeuner sommaire et fraternel pour clore doucement cette parenthèse hors du temps d'amitié spontanée qui, je l'espère, se rouvrira de plus en plus souvent dans l'avenir.

Bref, Ahmed est rentré heureux et vanné avec beaucoup plus de souvenirs dans la tête que l'heure ne l'aurait laissé présager (même si dans la soirée, sa mémoire des patronymes lui a joué des tours pendables).

Tout ça pour dire quoi ? Que les cuisines sont des endroits de rencontre formidables ? Oui, mais encore ? Que tout n'est pas perdu et qu'il est encore possible de passer de bonnes soirées ? Heureusement nous n'en avons jamais trop douté, et donc ? Qu'une soirée suffit à remonter le moral d'Ahmed piétiné depuis des mois par le grand capital et le travail de bureau ? Cela nous soulage mais ne nous suffit pas, alors ? Qu'Ahmed n'a rien perdu de sa légendaire capacité à ce lier à des inconnus ? Peut être était ce le but effectivement, il ne lui reste plus qu'à cultiver et arroser ce terreau pour y voir germer la pousse d'une véritable amitié. Ou peut être tout simplement, Ahmed avait il envie de partager une expérience agréable, histoire de la revivre en souvenir, de tenter d'en transmettre les souvenirs émus à travers ses mots, à vous de voir.

Vous remarquerez pour finir que pour une fois Ahmed est positif, ne se plaint pas et n'est pas en colère, vous remarquerez aussi qu'il s'étale pas mal et de tout cela vous tirerez naturellement la morale suivante : "la vengeance de la luciole brille comme l'éclair mais le papillon plane en chantant."

jeudi 23 juillet 2009

Parfois, il le faut

Depuis quelques jours Ahmed est obligé de se coltiner un collègue gratiné que nous appellerons Face de Cul pour préserver son anonymat (le choix de ce pseudonyme n'a pas seulement rapport avec la pilosité faciale quasi inexistante de l'individu, il est aussi du au fait qu'il est particulièrement humiliant.).

Vous vous en doutez, si Ahmed vous en parle aujourd'hui ce n'est pas parce que ce type brille par sa discrétion, son intelligence ou son bon goût. Non qu'Ahmed soit incapable de faire l'éloge de ceux qui l'entourent mais, le cas échéant, il s'arrange pour leur trouver un surnom plus approprié.

Face de C., outre son physique repoussant, possède une aura qui d'emblée le rend antipathique. Intrigué et ayant beaucoup séché les cours de métaphysique, Ahmed tenta d'en savoir plus sur le concept d'aura mais au milieu de diverses divagations plus ou moins absconses, il ne trouva rien qui pouvait s'appliquer à son collègue. Et puis lors de leur deuxième rencontre Ahmed comprit, cette aura qu'il avait cru ressentir n'était finalement que la combinaison de son odorat, de son ouïe et de sa vue meurtris par l'apparition du phénomène. L'homme dégage en effet une odeur vague de transpiration, de renfermé et de moisissure, souffle comme un porc asthmatique entre chaque demi-phrase et s'essuie continuellement et péniblement le front pour tenter d'en retirer la couche de sueur luisante qui le recouvrirait même si nous travaillions dans un igloo, ce qui associé à une barbe roussâtre inégale et à l'exema que cette dernière provoque aurait consumer le nerf optique du plus endurci d'entre vous. Ahmed pourtant ne s'arrête généralement pas à ce genre de considération car nous sommes tous tel qu'Allah le miséricordieux nous a fait et tel que la Fortune nous a transformés. Mais la miséricorde divine est loin d'être la même pour tous et, quelle qu'elle ait été à la naissance, la Fortune peut parfois se comporter comme une sacrée putain. Ceci dit, il ne faut pas faire de fatalisme et lorsque, comme Face de C., on fait naturellement peur aux hyènes, on essaie de s'arranger un peu ; la société moderne regorgeant assez d'artifices et de rôles à jouer pour que cela ne soit pas trop compliqué. Mais tout cela était sans compter sur l'esprit obtus de ce cher Face de C., car non content d'inspirer le mépris par sa simple présence, cet homme aurait été capable d'insuffler des pulsions meurtrières au Mahatma en lui demandant la direction de la gare.

Chez Face de C. comme, malheureusement chez beaucoup d'être humain l'intelligence et le bon goût ont été définitivement enterrés. Ainsi ces gens ne sont ils pas capables de se rendre compte que la bête immonde que leur montrent toutes les surfaces réfléchissantes est l'image qu'ils donnent au monde. A croire que ces gens sont moins évolués que les dauphins et n'ont pas une conscience du moi, un ego, assez développé pour se reconnaître quand ils se voient dans un miroir ou sur une photographie. Bref pour en revenir au spécimen qui nous intéresse, vous l'aurez compris, Face de C. est incapable d'utiliser ce que la société moderne et son confortable salaire de cadre célibataire mettent à sa disposition pour améliorer son apparence extérieure. Un cancrelat, sur l'échelle de Karl L., possède plus de style.

Mais vous allez finir par croire que je suis bassement superficiel et qu'Ahmed ne juge les gens que sur leur apparence alors que non, Ahmed a quelques amis, rare je vous l'accorde, fondamentalement laid qui se rattrapent heureusement par l'étincelance de leurs esprits épris d'esthétisme, de culture et de raisonnement. Il hait aussi beaucoup de gens à la beauté éblouissante, rassurez vous. Dans le cas qui nous occupe, il se trouve que outre sa répulsion naturelle, cet homme, que j'aime appeler Face de C. dans l'intimité, n'est pas capable de se rattraper en ouvrant la bouche. Il cumule en effet lâcheté, feignantise, narcissisme (aussi étrange que cela puisse paraître), étroitesse d'esprit, manque total de sens de l'humour, mesquinerie, inculture, niaiserie et stupidité flagrante.

Bref, il ne brille pas, par contre il étale...

Ahmed est à cran en ce moment, je frise la crise de nerf deux à trois fois par semaine et cela affecte mes relations avec mes proches, la femme qui éblouit, mes clients et les gens. Cela me pèse au point que, parfois, en caressant la crosse de son revolver Ahmed se demande si cela vaut vraiment la peine.

De se retenir, rassurez vous, de se retenir. Jamais je n'oserai attenter à la vie d'Ahmed, elle est sacrée et ma mort quand elle aura lieu devra être beaucoup plus spectaculaire et programmée qu'un pauvre coup de feu dans le fond de la bouche. Et si elle doit faire chier des gens, en aucun cela ne se limitera qu'à la femme de ménage qui devra shampouiner la moquette. Par contre, je dois vous avouer que devoir retenir sa haine à longueur de journée, devoir réprimer ses envies de refaire la déco à la batte et de faire un feu de joie avec la montagne de dossiers qui pourrissent à tous les étages, ça, c'est dur. Et c'est pourquoi, même si cela n'est pas non plus l'exercice préféré d'Ahmed, en dehors du fait que cela ne permet pas de libérer toute sa puissance créatrice, ni de laisser gambader son esprit dans les vertes prairies de son imagination débordante, car finalement Ahmed n'est pas si méchant qu'il l'apparait parfois, balancer son fiel sur ce Face de C. est si libérateur et apaisant. Quoique...

vendredi 17 juillet 2009

Lecteur digéré, lecture digeste et liberté diluée

Ahmed Kelly est un peu aigri en ce moment.

Aigri parce qu'il n'a pas le temps de faire ce dont il a envie, aigri parce que paradoxalement il trouve ses journées désespérément vide de sens, aigri parce que certaines des personnes qui l'entourent semblent tout aussi vides et enfin aigri parce qu'à court terme tout cela ne risque pas de changer.

Bref, Ahmed cultive son ulcère consciencieusement.

Pour s'évader et pour entretenir un autre organe, Ahmed vole chaque instant qui passe à sa portée, dans un moment d'égarement, pour lire. Vous le savez, sous ses airs de brute épaisse et malgré ses activités professionnelles peu reluisantes, Ahmed est un intellectuel et un esthète. Il dévore donc avec avidité le moindre recueil de pages reliées et n'ayant absolument aucun intérêt technique, scientifique ou pratique. Et cela lui réussit.

Il raffermit son imaginaire, shampouine son vocabulaire, masse son intellect, détend son esprit et retend sa paroi intestinale. En somme, si d'extérieur il n'a rien à envier aux cadres stressés et insomniaques qui hantent les rues embouteillées du 8e arrondissement parisien, sa beauté intérieure n'a jamais été aussi resplendissante ; satisfaction très personnelle et pas forcément évidente à partager mais tout aussi réconfortante pour l'ego. Il lui faudrait juste trouver un peu plus de temps, et peut être un peu de motivation, pour pratiquer une activité sportive et il serait le parfait exemple concret des aphorismes divers découlant d'une fameuse contrepèterie latine : anima sana in corpore sano.

Malheureusement pour lui, mais heureusement pour la carrière de ses amis Eric Z. et N., tout ce qui est publié de nos jours n'est pas du Victor H. et tout ce qui est traduit n'y gagne pas forcément (mais Ahmed a beau prier, rédiger évangiles et exégèses coraniques et convertir à tour de bras, il n'a toujours pas reçu le Saint Esprit, il va finir par croire qu'il ferait mieux d'attendre patiemment les implants neuronaux comme tout le monde). Mais Ahmed sait être magnanime avec les auteurs qui n'ont pas sa plume et les éditeurs qui n'ont pas son discernement et quand il juge pauvrement la qualité d'un ouvrage il n'en tente pas moins d'en tirer le maximum car la littérature à cela de beau que son amateur peut tirer son plaisir tant de la forme que du fond, de la sonorité, de la clarté ou de la poésie ; peut être d'ailleurs les chefs d'oeuvre qui rendent leurs auteurs immortels sont ils les bouquins qui brillent dans tous ces domaines, les polyvalents, ceux qui pourraient jouer en attaque aussi bien qu'en défense, le beurre gratuit..? (idée qui vient de me venir, mes connaissances en littérature et en philologie ne sont pas assez grande pour répondre à cette question ou pour faire autre chose qu'émettre une hypothèse gratuite qui n'engage que moi, et encore.)

Ainsi il a, il y a peu, voyagé dans l'espace d'un futur lointain mais toujours aussi plausible, quoique ses coutures étaient un peu plus apparentes que ce à quoi Ahmed s'attendait ; voyagé encore au coté du plus grand médecin de son temps dans un passé beaucoup plus proche et dans des contrées qui, alors, faisaient rêver et qui à l'heure actuelle font peur ou pitié ; observé les divagations d'un doux dingue de la Nouvelle Orléans, ancêtre du geek, délicieusement imbu de lui même dans les faits comme dans l'écrit ; suivit les tribulations de la jeunesse écossaise qui depuis qu'elle ne prend plus d'héroïne s'essaie au cinéma de genre en consommant beaucoup de ce qu'Ahmed importe d'amérique du sud ; ou rit du cocu le plus noble, le plus exhubérant et le plus amoureux que le royaume de France ait connu.

Bref, Ahmed s'évade et lorsque ce matin il entama la lecture du récit poignant d'un adolescent sous la dictature, l'embargo et la guerre, par un auteur brillant car n'ayant jamais rien connu de tel, il se sentit soulager de lire que la lecture et les livres sont la liberté sous la dictature, tout comme ils furent la liberté pour un certain joueur d'échec.

Le bien le plus cher d'Ahmed Kelly étant sa liberté, il ne peut que se réjouir de voir qu'un de ses loisirs préférés y contribue et il comprend mieux maintenant ce soudain regain d'intérêt pour les transports en commun.