mardi 28 juillet 2009

Kitchen counter-party

Ce week end, Ahmed a passé une soirée des plus sympathiques.

Pourtant de prime abord elle ne semblait pas gagnée. La veille en effet il avait pu se régaler d'un rôti préparé amoureusement et légèrement apéritivement par l'hôtesse d'un dîner commémoration et dépense d'une saison, et de sa recette, de théâtre dûment remplie. Le rôti était savoureux et le vin agréable au palais, malheureusement l'inertie des grands groupes, qui est quadruplée quand les convives sont de bonnes compagnies et ont l'habitude de se voir dans les tenues les plus improbables, joua avec notre appétit jusqu'aux dernières lueurs du soleil et nous emmena jusqu'à tard dans la nuit. Le lendemain, pour Ahmed comme pour la plupart de ses amis ayant un travail à horaires plus ou moins fixes, fut donc de ceux que l'on appelle difficile.

Les horaires d'Ahmed en ont donc pâti car il est partisan de les réduire pour les rendre plus efficaces plutôt que de les respecter pour en baver syndicalement ; mais vous qui connaissez Ahmed vous savez qu'une des branches dans lesquelles il travaille possède un emploi du temps assez souple et surtout nocturne et que pour l'autre il possède la conscience professionnelle d'un bourrin, au sens animalier du terme. En milieu d'après-midi, Ahmed ayant clos le dossier qu'il traînait comme un boulet depuis plus d'une semaine, la cloche de la liberté sonna trois fois et Ahmed s'en alla gaiement dans les rues de la capitale. Par acquis de conscience et dans l'espoir, un peu vain il le sait maintenant, de trouver une perle rare, Ahmed tenta d'aller faire les soldes au milieu des touristes qui pullulent en cette saison dans le quartier des grands boulevards comme les pustules sur les fronts des récents bacheliers. Vous vous en doutez, la tentative fut vaine. Même celle de partager une sèche avec son ami C., tueur à gage sévissant dans la région, fut un échec retentissant. Bref, au moment de prendre l'apéro, les jambes d'Ahmed sont sciées, son moral au plus bas et son envie de meurtre inversement proportionnelle.

Heureusement, l'apéro-jean est un concept qui devrait faire école, en tout cas c'est une façon de faire ses courses qu'Ahmed apprécie tout particulièrement. Expliquons un peu ce qu'il en est pour le lecteur sous-informé : derrière une marque branchée, écolo, équitable ou éthique se trouvent toujours des gens qui rarement dans leur vie se sont servis d'une machine à coudre mais qui sont versés dans l'art obscur de l'économie de marché ; or ces gens ont des amis et aimeraient bien parfois allier l'utile à l'agréable tout en se rapprochant un peu du métier du petit personnel ; ils organisent alors des ventes privées durant lesquelles amis et amis d'amis partagent une boisson alcoolisée avant d'acheter ce qu'on veut bien leur vendre à des prix préférentiels bien entendu. Dans le cas qui nous occupe l'entrepreneur vend des jeans et lui, Ahmed et quelques amis à l'un ou à l'autre burent des mojitos, frais et bien dosés. Il n'en faut pas plus pour relancer un Ahmed vanné et lancer tout simplement une soirée prometteuse.

Alors que le soleil a depuis longtemps abandonné l'espoir de les accompagner dans ce qui sera, et ce qui était prévu pour être, l'évènement principal de la soirée, Ahmed et deux partenaires théâtrales lèvent le camp, quittent la source de mojito et s'élancent sur les grands boulevards, toujours eux, en direction de l'appartement qui les avait déjà accueilli la veille pour ce fameux rôti. Après deux arrêts pit-stop, les batteries sont convenablement nourrie (grâce à un vertical mélange de pain, de patate et de poulet à la friture) et les munitions abondantes. Les trois compères arrivent donc triomphalement, quoique pas forcément habillé pour l'occasion, à destination. Il faut savoir à ce moment du récit que la soirée possédait un thème qui nécessitait une certaine maîtrise de l'art délicat du déguisement, maîtrise qu'Ahmed n'a pas surtout quand il découvre le thème la veille au soir. Ahmed et ses amis, un poil plus imaginatif que celui-ci, débarquent donc dans une soirée où poséidon trinque avec le marin Jean-Paul G. et où Bob l'éponge taille le bout de gras avec un pirate qui n'a pas vu les caraïbes depuis longtemps (celui qui découvre le thème de la soirée à partir de ces maigres indices gagne mon admiration éternelle. Et une cuite.). Mais Ahmed n'est pas du genre à abandonner par manque de déguisement, il enlève donc le jean qu'il a autour du cou, fait rapidement tomber la veste et part à la recherche de la nouvelle source de boissons alcoolisées.

Et c'est ainsi qu'il se retrouve, comme souvent, dans la cuisine. Vous me direz que même si la plupart du temps les cuisines n'ont qu'une seule entrée, elles ne sont pas forcément des endroits sans issues dont il est impossible de s'échapper. Mais il se trouve qu'Ahmed, dans ce genre de soirée, apprécie fortement la cuisine. D'abord parce que c'est souvent l'endroit où sont entreposés l'alcool, surtout celui qui est destiné à être bu frais, et la bouffe. Ensuite parce que tous les convives de la soirée, à part ceux qui se débrouillent pour ne jamais aller chercher leurs verres eux-mêmes, doivent à un moment ou à un autre y passer, ou courir le risque de se déshydrater ; Ahmed en restant dans la cuisine est donc à peu près sûr de croiser, au moins quelques instants, presque toutes les personnes présentes, mais en plus il est susceptible de les croiser à un moment où elles seront plus enclines à partager et à rencontrer car en recherche de quelque chose, en pleine lumière et en retrait par rapport à la source de musique (non qu'Ahmed soit contre la présence de musique en soirée, vous connaissez sa mélomanie, même à un niveau sonore défendu par l'OMS mais il trouve assez désagréable le fait de devoir se pencher à l'oreille de son interlocuteur pour lui demander le beurre, surtout en ses périodes de pandémie latente.). Bref, Ahmed passe souvent beaucoup de temps dans ce qu'il appelle la "contre-soirée cuisine", non pas par envie de créer effectivement une contre-soirée autour de sa présence (ce qui pourrait entraîner des échecs assourdissants pour tout ego normalement proportionné) mais par commodité. Et encore une fois, grand bien lui en a pris car il a pu, pendant les 4 heures minimum qu'il a passé à recenser et à goutter les différentes boissons apportées par les invités et à les offrir gaiement aux assoiffés tel un satrape newyorkais en pleine prohibition, faire la connaissance de gens sa foi fort sympathiques, intéressants, drôles, cultivés ou passionnés et plus souvent qu'à l'ordinaire tout cela réunit. A l'heure où le soleil ne pensait pas retrouver ses enfants encore vaillants, Ahmed sortit de sa retraite pour profiter de la présence des plus résistants, les meilleurs, en écoutant les derniers morceaux, plus rock'n'roll, de la soirée qui n'auraient sûrement pas fait l'unanimité quelques heures auparavant. Deux heures après que Paris se fut éveillé, les mêmes meilleurs descendirent au café partager un petit déjeuner sommaire et fraternel pour clore doucement cette parenthèse hors du temps d'amitié spontanée qui, je l'espère, se rouvrira de plus en plus souvent dans l'avenir.

Bref, Ahmed est rentré heureux et vanné avec beaucoup plus de souvenirs dans la tête que l'heure ne l'aurait laissé présager (même si dans la soirée, sa mémoire des patronymes lui a joué des tours pendables).

Tout ça pour dire quoi ? Que les cuisines sont des endroits de rencontre formidables ? Oui, mais encore ? Que tout n'est pas perdu et qu'il est encore possible de passer de bonnes soirées ? Heureusement nous n'en avons jamais trop douté, et donc ? Qu'une soirée suffit à remonter le moral d'Ahmed piétiné depuis des mois par le grand capital et le travail de bureau ? Cela nous soulage mais ne nous suffit pas, alors ? Qu'Ahmed n'a rien perdu de sa légendaire capacité à ce lier à des inconnus ? Peut être était ce le but effectivement, il ne lui reste plus qu'à cultiver et arroser ce terreau pour y voir germer la pousse d'une véritable amitié. Ou peut être tout simplement, Ahmed avait il envie de partager une expérience agréable, histoire de la revivre en souvenir, de tenter d'en transmettre les souvenirs émus à travers ses mots, à vous de voir.

Vous remarquerez pour finir que pour une fois Ahmed est positif, ne se plaint pas et n'est pas en colère, vous remarquerez aussi qu'il s'étale pas mal et de tout cela vous tirerez naturellement la morale suivante : "la vengeance de la luciole brille comme l'éclair mais le papillon plane en chantant."

1 commentaire:

Unknown a dit…

Mes meilleurs soirées ont été dans des cuisines.

Ou près du buffet lors de vernissages.

Est-ce un endroit plus convivial ? Je ne sais pas, mais on peut y discuter sans hurler, ça c'est certain.