mercredi 16 décembre 2009

Dessine moi un mouton

Parfois, des gens font des commandes à Ahmed Kelly, directe ou indirecte : "C'est un peu chiant quand tu parles de politique", "ça fait longtemps que tu as pas fait un post marrant", "tu fais des phrases trop longues", "tu pars en couille" ...

Personnellement, je n'ai rien contre ce genre de demandes ou de commentaires, c'est cool d'avoir un retour sur son travail ; ce qui me gène plus en revanche c'est que personne n'arrive à me faire de doléances en adéquation avec mes envies personnelles. Du coup, j'en suis à me demander si mes lecteurs n'ont pas quelques lacunes en empathie télépathique. Ceci dit Ahmed Kelly sait bien que ce n'est pas vraiment vendeur de critiquer le lecteur dans ce métier donc il s'abstient et va répondre à une question : celle du petit David B. qui me demandait il y a peu : "Dis Tonton Ahmed, mon papa il veut pas me croire quand je lui dis que tu es un artiste, il dit que t'es rien qu'un fainéant et un sale escroc, pourquoi ? Pourquoi t'es pas un artiste ?"

Mes lecteurs adultes, réguliers et très demandeurs comprendront que je ne peux pas laisser ce pauvre garçon dans une telle incompréhension et me pardonneront donc de lui donner la priorité et de remettre à plus tard l'exaucement de leur si chers souhaits.

Et bien pour commencer mon petit David tu pourras dire à ton père que c'est un gros con et qu'il n'a rien compris à l'art, ensuite tu iras mettre de la glace sur ta joue pour qu'elle ne gonfle pas trop et tu pourras lui ressortir les arguments de tonton Ahmed.

Pour commencer, cassons une idée trop largement répandue chez le commun des mortels et, malheureusement, chez beaucoup de prétendants artistes : faire de l'art c'est pas de la tarte. Les gens comme ton père pensent qu'ils ont un vrai métier et qu'ils gagnent leur pain à la sueur de leur front alors que les artistes se la coulent douce en fumant des joints et en draguant occasionnellement de vieilles veuves qui ne savent plus quoi faire de leur blé ou de riches industriels qui espèrent s'acheter une respectabilité en faisant un peu de mécénat, mais tout cela est faux. Mais bon, Tonton Ahmed ne va pas te cacher la vérité : la pomme est pleinne de vers et, tu le découvriras sûrement à tes dépends, la plupart des gens ont abandonné le concept de morale dans le bac à sable où tu passes tes mercredis après midis ; et donc oui, il existe des gens qui font peu ou prou ce que décrit ton père mais on appelle généralement ces gens là des arnaqueurs. On pourrait débattre de savoir si l'arnaque est un art à part entière mais sur ce coup là Tonton Ahmed s'y connaît légèrement et il peut te dire que les autorités ne voyant pas d'un très bon oeil ce genre d'activités, il y a peu de chances que l'on fasse un jour des expositions sur l'arnaque au Grand Palais. Bon et puis commence pas à poser trop de questions non plus, tu devrais savoir qu'Ahmed Kelly n'aime pas les gens trop curieux ; ça me ferait mal de t'apprendre une autre vérité brutale de la société concernant les gens qui portent des armes mais ni uniformes, ni plaques officielles. Bref, il existe des artistes véreux, des papas étroits d'esprit et des enfants myopathes, la vie est une pute gamin, il faudra t'y faire. Mais stoppons là nos digressions pour revenir à nos métaphores alimentaires sur le difficile travail de l'artiste.

L'artiste par excellence, l'image d'Épinal de l'artiste si Ahmed ose dire, c'est le peintre dans son ateliers poussiéreux entourés de toiles plus ou moins achevées. On pourra déjà remarquer qu'il faut quand même se donner pour arriver à faire des tâches de peinture sur à peu près tout ce que contient un atelier avec une préférence marquée pour les endroits dont un pinceau ne devrait pas s'approcher à moins de trois mètres. Ce peintre donc, qui se donne tout autant pour souiller consciencieusement les parties les plus inutiles à la peinture de sa tenue vestimentaire, est, pour quelqu'un comme ton père, un sombre branleur qui, quand il n'est pas aux putes ou ivre mort dans un caniveau, donne vaguement quelques touches de pinceau sur une croute pour donner le change à ses créanciers. Pour les gens plus ouverts d'esprit, ce peintre a néanmoins un petit quelque chose de romantique qui le rend sympathique et puis finalement il est fauché comme les blés donc on ne peut pas vraiment lui en vouloir. Malheureusement, la modernité a aussi infesté la peinture et depuis qu'un espagnol chauve s'est amusé à peindre des musiciens avec la gueule carrée, des pelletés de gus pleins de tâches s'en foutent plein les poches en vendant des amas de peintures vaguement géométriques ne représentant généralement rien au premier abord avec la complicité de snobinards imbus de leur propre importance et des grands concepts qu'ils créent à la louche pour embobiner les rombières et les patrons suscités. Et depuis, même les gens qui regardaient avec un regard amusé ou apitoyé notre peintre vosgien de montmartre trouvent qu'il faudrait voir à pas les prendre pour des cons parce que leur progéniture décérébrée pourrait faire aussi bien sur leur ardoise magique. Et tu remarqueras que de ce coté là la modernité a fait beaucoup de mal à tout un tas d'autres arts, il suffit d'écouter pour s'en convaincre ces mêmes gens qualifier de bruit n'importe quel morceau de musique électronique ou de tas informe une sculpture moderne...

Mais, encore une fois, tout cela est faux, mon petit David, tous les grands peintres, mêmes les plus abstraits, ont commencé par tenter de reproduire l'objet le plus con que leurs maîtres pouvaient trouver, tous se sont briser les doigts à croquer en quelques minutes des gens nus, tous les musiciens se sont migrainés le crâne à apprendre le solfège ou les bases de la rythmique et tous les comédiens ont ravalé leur fierté pour mimer des poils de cul au fond d'un lavabo. Un artiste, quel qu'il soit, doit travailler comme un bâtard, pour le dire simplement, avant de maîtriser suffisamment son art, l'histoire de son art, son âme, son inspiration et plus que tout son geste afin de créer son oeuvre, d'y poser des fragments de son être et d'obtenir l'harmonie qui le satisfera, l'apaisera et touchera son public. L'artiste est en constant apprentissage, il se bat en permanence contre lui même, il poursuit toute sa vie l'inspiration et les évolutions de son art et il ne communique des sentiments au monde, et ainsi ne gagne sa vie, qu'au prix de ce travail perpétuel et monumental. Il n'est pas d'oeuvres reconnues qui n'aient été créées de cette façon car il n'y a pas de création sans labeur.

Admettons que ton père comprenne ce qu'Ahmed Kelly vient d'essayer de lui faire rentrer dans le crâne, Ahmed veut bien parier sa barbe qu'il continuera à te dire que ton idole n'est qu'un foutu parasite qui se lève tous les jours en début d'après midi pour aller faire le guignol sur une scène et se faire mousser sur des plateaux télés ou à des remises de prix bidons car ton père, comme beaucoup de gens, ne considère pas les acteurs comme des artistes. A sa décharge, il faudrait un nombre certain de mains pour compter le nombre d'acteurs foutrement mauvais, qui squattent le box-office et gâchent le travail de réalisateurs géniaux produits par de sombres andouilles, et le nombre de vagues célébrités, qui s'improvisent acteurs car ils ont trop rapidement atteint les limites de ce qui les a rendu célèbre, sur des doigts. Il n'empêche que les acteurs sont des artistes tout autant que les peintres ou les musiciens ; ce sont des artistes qui travaillent sur leur propre corps et sur leurs propres émotions pour donner vie à des personnages imaginaires ; ce sont des artistes qui à travers cette création se déchargent, comme les autres, des tourments de leurs âmes et des bouffés d'état créatif qui les rendraient fous si elles étaient trop longtemps contenues. Comme le peintre, le danseur, le sculpteur ou le musicien il recherche en permanence le geste parfait qui sublimera tous les essais, toutes les ébauches ou toutes les répétitions pour donner l'Oeuvre, la Création, qui touchera le public et qui comblera le commanditaire (que celui ci soit un réalisateur, un chef d'orchestre, un auteur, un compositeur, un mécène ou un quelconque producteur ; dans une société où l'argent est maître, l'artiste ne crée que trop rarement pour son seul plaisir). Car finalement l'art, sous toutes ses formes, n'est qu'un long combat entre l'artiste et son corps pour amener ce dernier à faire ce geste parfait qui exprimera enfin la pensée et la sensibilité de son propriétaire. Et, pour obtenir plus facilement ce geste parfait, l'artiste doit s'entraîner, travailler, répéter, bref, comme Ahmed te l'a expliqué plus haut : l'artiste doit se les sortir un peu du fondement et suer autant si ce n'est plus que ton malheureux paternel.

Normalement une fois arrivé là tu peux donc lui lancer à la face toute ton admiration pour cet homme, Ahmed Kelly, qui est fier d'être un acteur et un artiste et qui travaille comme un acharné pour améliorer son art et mériter ton admiration. Et si ton père continue à faire la forte tête, c'est avec plaisir qu'Ahmed Kelly lui montrera ses autres talents dans le domaine de la persuasion et de l'extorsion de fond avec ses deux plus fameux partenaires : Machette et Desert Eagle.

2 commentaires:

Mom's a dit…

J'arrive du blog "Mort aux cons" sous les conseils de Kuhn... Et je suis ravi, c'est excellent (malgré quelques petites fautes d'orthographe). C'est à la fois drôle, sérieux, et touchant.
Je reviendrai, avec plaisir.

A. Kelly a dit…

Et bien merci beaucoup et bienvenu à toi.
Bon et désolé pour les quelques fautes, je finis généralement d'écrire assez tard et le sommeil prend malheureusement le pas sur la grammaire...
Ceci dit n'hésitez pas à me les montrer quand elles font trop mal à la rétine, je corrigerai sans faute (mouhaha, elle est bonne).